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Titre: République Royale
Auteur: Auzias-Turenne, Raymond (1861-1940)
Date de la première publication: 1894
Édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Montréal: C. O. Beauchemin et fils, 1894 (première édition)
Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 1 juin 2009
Date de la dernière mise à jour: 1 juin 2009
Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 326

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République Royale

PAR

RAYMOND AUZIAS-TURENNE

Directeur du Haras National de Montréal
Vice-Président du Syndicat Central des Agriculteurs du Canada.

Credo

MONTRÉAL

C. O. BEAUCHEMIN & FILS, Editeurs

256 et 258, rue St-Paul
1894



Enregistré conformément à l'Acte du Parlement de la
Puissance, en l'année mil huit cent quatre-vingt-quatorze
au bureau du Ministre de l'Agriculture par l'auteur.



logo


[5]
Georges

Conseiller d'arrondissement.

Mon cher ami,

Vous rappelez-vous cette conférence orageuse au Cercle de S......, où un tout jeune homme nous fit très gravement l'apothéose de notre gouvernement français actuel? dans son enthousiasme de rhétoricien, il finit par s'écrier: "Les Français qui renient ici la république ne sont pas français: ils insultent leur mère(?) à l'étranger, comme jadis les émigrés de Coblentz!"

Sans excuser ou même comprendre les défaillances des malheureux qui, au début du siècle, portèrent les armes contre leur patrie, nous revendiquons pourtant hautement le droit d'affirmer partout et toujours, à [6]l'étranger aussi bien que "chez nous", notre amour de la France, comme notre haine de ceux qui exploitent son gouvernement temporaire. Non pas, au reste, que la république soit en elle-même haïssable: mais elle est, surtout pour la race latine, la plus déplorable forme de gouvernement qui se puisse adopter. A la veille du siècle où quatre races devraient se partager le monde, la race Latine, la race Anglo Saxonne, la race Slave et la race Mongole, voilà qu'elle entrave tellement le développement de la France que l'avenir paraît sombre aux plus optimistes d'entre nous. Nous sommes si riches en millions, nous devenons si pauvres en enfants, d'après les indiscutables statistiques de naissances et décès................................................... n'est-ce qu'un accident passager, ou n'est-ce pas là plutôt la résultante des doctrines, des lois, des impôts enfin de notre république? Nous le croyons fermement, et nous sommes convaincus avec bien d'autres qu'une restauration monarchique peut seule nous sauver, c'est-à-dire le retour du pays à un gouvernement plus conforme à sa plénitude de développement chrétien, à l'amour du Christ sans lequel il n'y a plus de France.

Travaillons-y donc tous! L'héroïsme de nos soldats fit le triomphe de la première république, leurs vertus [7]feront peut-être un jour oublier les crimes, les infamies de la Terreur. Quelques généreuses convictions, habilement exploitées par certains financiers firent le succès éphémère de la seconde république; quant à la troisième, sa réussite s'explique par la très bourgeoise assiette au beurre. Quantum mutata ab illà! Au lendemain de son usurpation, sa politique sceptique se résume dans le mot trivial de ses grandes dames "ça va bien! c'est nous qui sommes les princesses à présent!"

En cette pratique fin de siècle, elle n'est pas facile à déloger, car elle déguise si bien son despotisme irresponsable sous les licences de tout genre, que beaucoup d'esprits superficiels s'exclament: "Mais il n'y a pas au monde de pays aussi libre!..." Et, lorsqu'on les prie de s'expliquer, les voilà qui définissent "tyrannie," les mille et une vexations des différents esprits au pouvoir et "abus pernicieux" les libertés fondamentales auxquelles ont droit les peuples! Nous arriverons pourtant à leur faire ouvrir les yeux et à ramener le pays à la monarchie du dix-neuvième siècle, si nous aimons, si nous voulons aussi passionnément la Liberté que nos aïeux de 1789.

Si nous voulons! Nos pères, dit-on, faisaient de la politique en gants blancs, et quand ils avaient demandé[8] aux électeurs de voter pour eux, ils s'endormaient contents de leur journée, pour se réveiller le lendemain très surpris du vote hostile sorti de l'urne. Et nous, que faisons-nous? Pas même cela! Le temps passe, et nous rêvons à ce que nos prédécesseurs n'ont pas su faire, à ce que nos enfants feront peut-être. Tout semble contre nous et cependant la partie est encore belle, à cette époque où la France regarde autour d'elle, et commence à comparer les différents gouvernements du monde avec le sien propre, ce qu'ils ont coûté de travail, de sang, de patriotisme, ce qu'ils ont rapporté de tranquillité, de bonheur, de liberté. Notre république n'y gagne pas à la comparaison; elle n'est pas loin de faire banqueroute dans l'appréciation publique, pour entrer dans la période d'âge critique entre la monarchie et le socialisme. Qu'elle choisisse entre les deux!

A vous, mon cher Georges, qui avez parcouru et habité plusieurs années l'Union Américaine, l'Angleterre, puis cette nouvelle France du Canada où j'écris aujourd'hui, à vous qui avez apprécié, comparé et jugé de visu, à vous enfin qui savez que la meilleure forme de gouvernement ici bas est la monarchie, c'est-à-dire, de nos jours, comme à ceux de Saint-Louis[9], une République royale, là où elle est possible, grâce à l'existence d'une Famille grandie avec la nation, je soumets ces quelques réflexions. Leur seul mérite, vous le savez, c'est celui d'une conviction d'autant plus inébranlable qu'elle est plus raisonnée.

Vienne, ah! vienne le jour de la bataille, vienne le chef désiré, et ils sortiront si nombreux du sommeil, les bataillons qui ont perdu la foi républicaine, les bataillons qui ont gardé la foi royale! Ce jour là, si nous avons aidé dans la plus modeste mesure au triomphe final du Droit et de la Liberté, nous pourrons mourir contents, n'est-ce pas, mon vieux camarade de la grande prairie?

RAYMOND AUZIAS-TURENNE

Fleur de Lys, 14 juillet 1894.

Montréal.

Canada.



REPUBLIQUE ROYALE.

[11]

"Combatez vos! Diex, vos ira aidier!"

Aristote classe les Etats en Monarchies, Aristocraties et Démocraties: Machiavel les divise dans son livre du Prince en Principautés et Républiques, et Montesquieu en Etats Despotiques, Monarchiques et Républiques. Il semble pourtant, à la veille du vingtième siècle, que les différents gouvernements du monde se réduisent à une seule forme, la Monarchie, avec deux grandes subdivisions: la Monarchie héréditaire, la Monarchie élective.

Héréditaire, qu'elle soit constitutionnelle comme dans la plupart des états de l'Eu[12]rope, ou despotique au vrai sens du mot, δεσπωτης propriétaire, comme en Russie ou en Asie.

Elective, comme à Rome, comme en Amérique, comme en France. Un seul homme, un seul groupe, une seule unité dans la nation, peu importe, c'est toujours le souverain, le veto facultatif. Ne vous récriez pas: procédez plutôt à l'examen attentif des diverses constitutions qui régissent de nos jours le genre humain. Laissons passer les mots, cette grande, cette écrasante force actuelle de notre république en France, où l'idée qu'on s'en forme fait accepter tout ce qui vient d'elle parce que c'est elle, dépouillons les illusions de Tocqueville dont nous avons tous un peu hérité, et scrutons les principes. Nous reconnaîtrons vite le despotisme de notre démocratie, alors qu'une monarchie constitutionnelle serait pour nous la meilleure des républiques.[13]

Qu'est-ce qu'un gouvernement? Pour vous, cultivateur, pour moi, ouvrier, pour nous tous, citoyens d'une même patrie, c'est le moyen pratique de vivre ici-bas, non pas le plus heureusement possible, ce qui ne se verra qu'au delà de notre terre, mais le moins malheureusement possible, c'est-à-dire de posséder individuellement la plus grande part de ce bien acquis, le premier entre tous, Summa Fortuna, la Liberté. Liberté sacrée que Dieu donna d'abord à l'homme, qu'il perdit ensuite dans l'esclavage de la chute originelle, et que le Christ nous rendit par sa passion, ce même Christ qu'on voudrait faire de nos jours socialiste, c'est à dire despote. C'est pour ce bien suprême qu'aiment, souffrent et meurent des millions d'hommes sur la surface de notre globe, c'est pour lui que le sang ne cessera encore de couler aujourd'hui, demain, jusqu'à l'heure où la fin des temps sera proche,[14] où la vie terrestre fera place à la vie immortelle. Cependant, le nombre, la forme des gouvernements qui régissent l'humanité est si considérable, si complexe, qu'il serait trop long de les énumérer ici, et dans l'Europe toujours en fermentation à la recherche du mieux, notre France, peu disposée par nature à regarder autour d'elle, est convaincue que seule, sa république lui donne la plus grande part possible de Liberté: en dehors d'elle, elle n'admet guère sans la connaître beaucoup, au reste, que la constitution des Etats-Unis, "l'idéal des formes démocratiques."

Or, ce type parfait des constitutions républicaines revêt le président d'une puissance plus absolue en fait que celle d'un souverain constitutionnel, celui d'Angleterre par exemple. Où est la république, où se trouve la monarchie? En Angleterre où le gouvernement est à la merci de la[15] passion publique, c'est-à-dire de la presse, ou aux Etats-Unis, avec le veto présidentiel, avec l'irresponsabilité ministérielle?

Et cependant, cette république, cette monarchie élective, voilà près de cent ans qu'elle a conservé intacte l'œuvre de la convention de Philadelphie, à travers les plus prodigieux des accroissements comme des bouleversements modernes. Cinq cent mille hommes lui arrivent chaque année avec les haines, les rancunes, les divisions dont souffre l'Europe, tout l'atavisme de races opposées. Caïns hier, frères demain, tous citoyens américains, ils vivront en paix sous le drapeau étoilé: Washington, Washington, quel fut donc le secret magique de ta constitution, immortelle comme ta mémoire? Pourtant les crises partielles des Etats-Unis, un malaise général qui pourra dégénérer un jour dans la grande grève du travail contre le capital, prouvent[16] que cette constitution ne donne pas encore au peuple les garanties de tranquillité d'une constitution monarchique.

Et, en effet, si nous nous tournons vers l'Angleterre, nous verrons œuvre plus grande encore: cette monarchie, cette république héréditaire, elle a grandi tellement qu'elle enserre le monde de son influence, de sa langue, de ses enfants, dont le cri justement orgueilleux a remplacé celui du Romain: "Je suis sujet britannique!" Sujets de cette petite île perdue là-bas aux extrémités des océans, sujets si nombreux qu'on ne les compte plus, et qui sont contents de leur sort parce qu'ils sont libres, plus libres encore que les soixante et dix millions de leurs enfants vivant heureusement aussi sous le drapeau de l'Union.

Où en sommes-nous, nous, Français, dont la race, dont la patrie est vraiment le cœur de l'humanité altérée de justice?[17] Durant le même espace de temps, nos constitutions n'ont cessé de se succéder les unes aux autres: nous avons pratiqué la théorie de Jefferson "que tous les dix-neuf ans les peuples ont le droit de changer leur constitution", tandis que les Yankees se contentaient de l'encadrer dans leurs mémoires politiques.

Et voilà que nous sommes quarante millions à vivre sur les derniers vestiges d'une Liberté dont les sept caractères sont gravés bien haut sur tous nos monuments. Liberté du culte, qu'on renferme hypocritement dans les sacristies; liberté d'éducation, qui doit se borner au foyer domestique; liberté d'association ridiculement limitée à un nombre donné; liberté testamentaire, que nous sommes presque les seuls pères de famille du monde à ignorer; liberté enfin trois fois sacrée de la justice, dernier gage de l'indépendance morale d'un peuple,[18] tout ce qui fait battre un cœur de citoyen, tout ce qui permet son individualité, tout ce qui vaut vraiment la peine de vivre, oui tout nous a été pitoyablement disputé, morcelé, arraché. Aïeux de 1789, c'est pour cela que vous avez fait la révolution: conception grandiose, ensanglantée dans l'orgie de 1793, définitivement avortée dans le marchandage de 1893, puisque depuis cent ans, de toutes les libertés promises, données d'abord pour être peu à peu reprises, il ne nous reste que la plus dangereuse de toutes quand elle n'est pas corrélative des autres, la liberté de la presse.

Si bien qu'au dehors de cette douce terre de France, tant passionnément aimée qu'on ne saurait la quitter sans y revenir mourir, quoiqu'il y arrive, il semble sortir du sommeil qui tue, selon la belle expression du poète. La poitrine se gonfle, le cœur vibre à toutes ces libertés dont jouissent nos voi[19]sins, mais que nous chantons sans les connaître avec une conviction digne d'un peu de pratique.

Pourquoi donc ce contraste si frappant? parce qu'une république-monarchie élective avec son despotisme impersonnel, avec un président dépendant de ses chambres, et non pas de la nation, est inférieure à une monarchie constitutionnelle héréditaire, république royale, avec l'autorité suprême responsable derrière les pouvoirs, avec un roi enfin qui ne dépend d'aucun vote des chambres, et qui dépend pourtant du pays tout entier! parce que notre constitution républicaine est basée sur la souveraineté d'un électoral facultatif, c'est-à-dire l'oppression des indifférents et des minorités, tandis que celle de Washington, de Randolph, de Madison, trois royalistes auxquels manquèrent un roi, est essentiellement indépendante des factions populaires comme[20] aussi protectrice des minorités. On sait, en effet, que l'élection présidentielle y est au double degré dans chaque état, dont le moins considérable doit avoir au moins trois voix sur les quatre cents votes présidentiels, et nomme deux sénateurs, quel que soit le nombre de ses habitants.

Après le pouvoir suprême, vient le pouvoir judiciaire, garantie de l'indépendance des citoyens. Son organisation, aux Etats-Unis, où il dépend directement de la masse, laisse fort à désirer, un peu moins pourtant qu'en France, où il est absolument la chose de nos gouvernants. Magistrats révocables, par conséquent simples fonctionnaires salariés, privilèges de suspensions des cours, privilèges d'autorisations de poursuites pour nos députés ou sénateurs, tribunal archi-autoritaire des conflits, tels sont les grands traits de la magistrature de notre république: et si nous passons le détroit, que[21] voyons nous? Jury civil, jury criminel avec obligation de l'unanimité, droit inaliénable d'Habeas corpus, égalité absolue devant la loi, pour Paddy comme pour le most noble Lord, pour l'héritier même de la couronne comme pour le mendiant de White Chapel: magistrats dont le traitement énorme éloigne toute tentation, l'inamovibilité absolue toute crainte, l'impossibilité d'avancement enfin, tout esprit de flatterie ou même de bienveillance officielle, voilà ce que donne aux Anglais leur monarchie constitutionnelle, voilà ce que ne nous donne pas notre république égalitaire!

Qu'on y réfléchisse souvent, qu'on y médite longtemps, car c'est là ce qu'il importe de remarquer à une époque, où ceux qui veulent arriver comme se maintenir au pouvoir en France, déclament à l'envi sur les abus de la monarchie, sur les bienfaits de la république, deux gouvernements[22] qui doivent être de même essence s'ils veulent donner aux citoyens toutes les libertés. Mais il est si tentant de soulever les préjugés des foules, si facile de remuer les antipathies naturelles de celui qui est en bas, contre celui qui est plus haut, il est si adroit de se faire un marche-pied des faibles en criant: "Haro sur les aristocrates!" comme si la France entière n'était pas l'aristocrate des nations! Sur toutes nos places publiques, au frontispice de tous nos monuments, voyez-la étinceler en lettres d'or, la glorieuse devise: Liberté! Egalité! Fraternité! pas de journal qui ne la répète à la foule, pas de meetings où elle ne retentisse comme le clairon libérateur du monde! Mais si on est catholique, on est suspect, et vous ne pouvez vous réunir pour prier Dieu sans que l'Etat, l'Etat omnipotent, ne vienne aussitôt vérifier vos prières et vos aumônes: mais il vous faut payer deux fois, oh, très[23] librement du reste, et risquer un échec aux écoles officielles, s'il vous plaît de faire élever vos fils en dehors des lycées: mais enfin, la justice qui fut, dit-on, inamovible, n'est plus que la très humble servante de l'Etat, avec une seule invocation: "Que votre volonté soit faite, ô notre père, puisque vous nous donnez notre pain quotidien." Religion, justice, éducation, était-ce donc pour vous perdre ainsi peu à peu que les états généraux du Dauphiné demandèrent les premières réformes au 24 juillet 1788?

Ce dix neuvième siècle vieillit beaucoup, sur ses assises de la souveraineté du peuple mal interprétée, summum imperans cujus est instituere, ejus abrogare: qui dat esse, dat modum esse. Les doctrines du contrat social déléguant le pouvoir au sortir d'un état de nature primitif, ont été prêchées aux quatre coins de l'Europe par Grotius, Hobbes, Sydney, Locke, Montesquieu, Rousseau enfin,[24] et Sieyes: séduisantes théories dont la propagation fut foudroyante, mais qui ne nous ont pas donné en France le bien suprême, tandis que nos voisins y arrivaient tout naturellement. Nous avons sonné le branle-bas social, et que de lois d'exception, que d'infamies, que de violences, que de sang innocent versé, le même tocsin a couvert de sa voix puissante, tandis que les autres en profitaient en silence! Chez nous, cependant, tout l'effort a abouti à la faillite de la Liberté. A quoi l'attribuer sinon à une forme de gouvernement aussi belle en théorie que misérable en pratique, à une république manquée qui serait fort acceptable si sa constitution se rapprochait plus de celle des Etats-Unis, mais qui aurait encore alors l'immense inconvénient d'isoler la France au milieu de l'Europe? Ce fut, du reste, le vœu le plus cher du prince de Bismarck.

Beaucoup commencent à laisser de côté[25] l'amour propre, base générale des politiques humaines, et à faire ces réflexions au milieu de l'abstention générale; signe des temps, qui n'est pas à dédaigner, quelle que soit en France la superstition de notre république et l'ignorance de la monarchie. Quel progrès, en effet, nous a donné cette révolution d'il y a cent ans, que nos voisins les Anglais n'aient pu obtenir sans secousses, sans violences, sans torrents de sang? Après un siècle d'instabilité, en quoi sommes-nous plus avancés que les peuples qui nous entourent, au point de vue politique, et en dehors du génie propre de notre race, toujours le même sous n'importe quel gouvernement?

Il y avait des abus, de grands abus; les cahiers généraux de 1789 les auraient graduellement réformés: nous avons perdu patience, et croyant ainsi aller plus vite, nous avons coupé la tête de nos nobles, de nos prêtres, des paysans qui osaient les[26] aimer. Selon le mot d'ordre sauvage du Palais Royal, aux débuts de la révolution, nous avons tout détruit, tout brûlé. Ensuite, quand il a bien fallu reconstruire, nous avons vécu de ce que nous reprenions à l'ancien ordre de choses, avec les tempéraments que comportaient les exigences modernes. Citons en passant le mouvement des esprits vers les syndicats de tout genre, c'est-à-dire ces corporations de jadis si décriées par les tribuns révolutionnaires: ou mieux encore, ce dernier projet de loi de Homestead,[1] qui nous rendrait enfin la liberté de tester et la conservation des biens dans les familles. Pour reprendre ainsi les traditions du passé, et très logiquement au reste, était-ce vraiment la peine d'avoir tout sacrifié aux principes selon le cri célèbre: Périssent les colonies [27]plutôt qu'un seul principe! Etait-ce vraiment avantageux de chasser des rois responsables pour installer à leur place des présidents dont l'autorité impersonnelle est irresponsable, et qui sont toujours obligés aux plus grands ménagements envers ceux dont ils se sont servis pour arriver au faîte?

Là où il fallait transformer peu à peu, sans secousses, selon l'évolution nécessaire à la sauvegarde de tous les intérêts, les coutumes féodales, qui n'avaient plus leur raison d'être, les redevances ou privilèges seigneuriaux, devenus incompatibles avec les besoins modernes, on a voulu, on veut encore détruire hommes et choses, pour faire place nette et table rase: effaçons l'histoire d'hier, installons demain à sa place, sans égards pour aujourd'hui, car le mot de Carrier est toujours vrai après cent ans: "La république ne sera heureuse que si l'on supprime le tiers de ses habitants." Il est vrai que le tiers, c'est une minorité![28]

Tout cela pour aboutir à un gouvernement qui nous donne toutes les licences, qui nous marchande toutes les libertés, qui blesse à plaisir toute une partie de ses citoyens dans leurs croyances les plus intimes, les plus profondes, malgré l'effort sincère des ralliés, et l'esprit nouveau qui devrait exister puisqu'on en parle. Nos maîtres renient officiellement la sublime mission des Francs et de Clovis, Gesta Dei per Francos, cette consécration qui nous a fait la nation privilégiée: catholiques, il nous faut souffrir en silence mille et une persécutions, toujours très légales, sans pouvoir réagir contre la démoralisation continue et savante de nos enfants. Licence des écoles, licence des rues, licence de la presse, et pour mieux les combattre, nos prêtres, éprouvés par le baptême du feu, dit-on finement, c'est-à-dire par les brutales réalités de la caserne! il ne manque plus que le[29] service obligatoire des brasseries pour nos filles, afin de les mieux préparer à la lutte pour la vie, au sortir du lycée.

A l'extérieur, nos anti-cléricaux de France se disent qu'il est avec le ciel des accommodements: ils sont catholiques, ils vont à la messe, ils donnent à tous du pain bénit et de pieuses paroles, et ils n'ont pas tort; car où trouveraient-ils de meilleurs diplomates, de plus grands patriotes que nos admirables missionnaires? Seulement l'infériorité de notre régime se révèle par un isolement redoutable au milieu de l'Europe monarchique, avec des diplomates improvisés d'hier, avec des crises ministérielles dont la fréquence, trente et une en vingt ans, est une de nos plus grandes faiblesses.

Jusqu'à quand tout cela durera-t-il?

Ah! nous savons parfaitement que cette question jettera dans l'ébahissement tous[30] les adorateurs du bloc Clémenceau: nous voyons les sourires ironiques, nous entendons les exclamations méprisantes sur notre illuminisme, nous devinons les silencieux haussements d'épaules. Certains de nos amis, quelques uns de nos anciens chefs peut-être, diront: Le parti royaliste est mort, mort et enterré. Il n'a jamais été plus impopulaire qu'à présent!

Allons donc? est-ce que le roi meurt en France? Est-ce qu'on le prend aux échecs? Parce que nous sommes les vaincus d'hier, d'aujourd'hui, qui donc oserait affirmer que nous serons ceux de demain? "Qu'une idée se lève sur Paris avec le jour et tous verront la même lumière."[2]

Lumière monarchique, c'est-à-dire d'un homme qui, le jour où il est sacré roi de France n'est plus un homme, mais un Prin[31]cipe qui a fait quatorze siècles de patrie commune, pour les esprits réfléchis qui scruteront les constitutions dont nous parlions tout à l'heure. Lumière monarchique encore, et protectrice du faible contre le fort, de celui qui a peu contre celui qui a beaucoup, pour toute la masse de la nation: car, si nous avons chassé les souverains, si nous avons fait l'économie de leurs listes civiles, des cassettes royales ou impériales, des douaires de familles, en un mot de tout l'arsenal des épouvantails électoraux, nous les avons avantageusement remplacés par les fonds secrets, si commodes en temps d'élections Boulangistes, par les centaines de cassettes particulières, par le coffre fort de Monsieur le gendre, par les chèques qui constituent la formidable liste civile des représentants du peuple, sauf ceux de la droite, par exemple.

Il est vrai que cet argent retourne aux[32] frères aux jours d'élections, et n'est pas perdu pour le pays. Un milliard y a passé, huit cent mille actionnaires de Panama meurent de faim. Bah! Arton reste introuvable, Cornélius Hertz toujours in extremis et les plus compromis sont libérés après un procès pour la forme. Bien plus, on les inscrit à la commission des budgets pour qu'ils puissent se servir encore plus largement. "Nous sommes contente de notre lot!" disent alors tous les chefs de l'oligarchie, tandis que Mesdames se frottent les mains: "Ça va bien! C'est nous qui sommes les princesses à présent!"

Ote-toi de là que je m'y mette! Quand à la nation, quant au peuple, que nous importe?

Voilà qui résume le secret de bien des révolutions! Austérité républicaine! c'est toi qui dictas jadis les Comptes fantastiques d'Haussman à Jules Ferry. Et le baron Haussman est mort pauvre, après[33] avoir fait la ville merveille qui s'appelle Paris: et Jules Ferry est mort aussi, après avoir fait tout doucement sa bédide fortune au Tonkin. Et l'empire nous a légué Suez, et la république nous a doté de Panama: car le premier croyait un peu au lendemain de la mort, tandis que la seconde se passe scientifiquement du nommé Dieu.

Voilà pourquoi, nous autres paysans, qui grattions la terre comme des sauvages, mais des sauvages chrétiens, au temps de la Bruyère, nous la grattons encore aujourd'hui comme des brutes païennes. Il est passé le règne des intendants grands seigneurs que le roi faisait pendre, que l'empereur faisait fusiller, lorsqu'ils nous écorchaient au vif: il est venu celui de l'Autocratie souveraine, Sa Majesté l'Argent, pris au fond de nos poches, pour élever nos enfants sans Dieu, pour lutter contre nos votes au jour du scrutin, pour adoucir les[34] juges au lendemain des Panamas, ignorés par un président de la république.

Cependant, sous la forme indirecte d'un plébiscite qui ne vaut pas l'appel au peuple de l'empire, nous venons de ratifier par une énorme majorité de votes, (car les abstentions ont été encore plus nombreuses), cette même république dont nous nous plaignons, et on peut dire que toute opposition effective à la forme du gouvernement a disparu de la chambre nouvelle. Vous en êtes surpris? mais de bonne foi, croyez-vous qu'il a jamais été, qu'il sera jamais possible en France à des électeurs consciencieux d'opérer à coup de scrutin une révolution pacifique? Mais nous n'avons même plus le droit d'élire directement notre Président, comme en 1848, comme aux Etats-Unis! mais relisez donc l'histoire et laissez ce trop beau rêve à ceux dont l'effort réel restant impuissant, seul, sera pourtant un jour un levier des plus formidables.[35]

Depuis vingt deux ans, il n'y a pas une province, pas un département, pas une commune qui n'aie été travaillé, remanié, séduit ou terrorisé, sous la pression formidable de cette pieuvre unique au monde, l'administration républicaine. Ne parlons que pour mémoire des votes fabriqués par milliers à la dernière heure, comme aux dernières élections de Toulouse où leur chiffre a dépassé trois mille.

S'il y a lieu d'être surpris, c'est donc seulement de ce qu'il se puisse trouver encore quelques départements dont les élus ne soient pas républicains. Ecoutez d'ailleurs:

"Nous n'aimons pas les changements dans les campagnes, et nous votons en principe pour le gouvernement du jour, quelles que soient nos idées sur ce point: nous acceptons ce que nous donne Paris, et Paris, comme toutes les grandes villes, laissera toujours[36] parler plus haut, plus fort, l'élément mauvais, jusqu'à l'heure où une énergique main l'y réduira au silence. Nous ne ferons pas de révolution pour revenir à la monarchie, que nous ne connaissons plus beaucoup; mais que d'autres la fassent, et vous verrez si nous nous y rallierons en masse, et avec bien plus de conviction qu'à toute autre forme de gouvernement. Dix ans de monarchie feront plus que vingt ans de démocratie, car il y aura du soleil pour tous, tandis qu'à présent.... il n'y en aurait même plus pour un chétif comme moi, si on m'entendait!"

Voilà ce que nous disait tout récemment encore, un instituteur du Dauphiné, fervent républicain selon les apparences. Que ceux dont l'unique gagne-pain dépend du caprice de nos gouvernants, lui jettent la première pierre; pour nous, nous n'aurions pas eu le courage de lui conseiller l'affirmation[37] de principes qui l'auraient immédiatement réduit à la mendicité.

Le huit mai 1870, sept millions et demi d'électeurs français ratifiaient par leurs suffrages la légitimité du troisième empire, contre un million et demi de votes négatifs. Quatre mois après, le 4 septembre, Paris renversait la dynastie impériale au milieu de revers, dont l'excès même aurait pu étroitement unir ces millions de sujets à leur souverain prisonnier et malade: dix mois encore, et l'Assemblée Nationale du 18 février 1871, si monarchique qu'elle recula devant l'embarras du choix, donna le jour à la république dont nous jouissons depuis vingt deux ans. L'empire n'avait duré que vingt ans.

Quel est le prophète qui aurait prédit son avènement au lendemain de l'équipée de Boulogne, de l'aventure de Strasbourg, comme sa chute au soir du plébiscite? Les[38] républicains prirent sa place par violence, durant les catastrophes qu'ils avaient voulues, préparées, par leur refus d'accroissement militaire quelques mois auparavant. La monarchie serait en droit d'user à son tour de violence pour aider cette restauration à laquelle beaucoup ne semblent plus croire quand ils s'écrient: Tout est perdu!

Rien n'est perdu au contraire, chez une nation qui acclame un empire ou une république par une majorité écrasante, et qui renverse cette république ou cet empire au jour des revers, car ce peuple ne s'identifie pas avec ces formes nouvelles de gouvernement. Il en reconnaît la nécessité aux heures troublées: il ne leur est pas attaché, et le jour où leur utilité est devenue contestable, il les efface du présent pour donner le sceptre à un autre: His usefulness is gone! Voilà l'examen de conscience de la France actuelle, voilà ce qui explique les crises[39] gouvernementales terribles au travers desquelles la nation passe avec la plus grande sérénité, voilà hier, aujourd'hui, voilà demain.

Demain!... oui, si en pleine apothéose républicaine, ce spectre anarchiste que nous avons regardé curieusement au fond de la scène où il semblait disparu avec Henry, mais où il vient de rentrer par l'abominable assassinat de Carnot, si ce nihiliste se rapprochait un peu trop de l'orchestre pour y jeter ses bombes, eh bien, après une terrible secousse, la nation tout entière demanderait sans hésiter la monarchie, parce que c'est son gouvernement naturel et que les autres ne sont que des larrons.

Si Dieu a pitié de nous, s'Il veut nous épargner le châtiment, Il nous enverra l'homme, la grande conscience qui pourra, qui voudra le coup d'état purificateur, remettant toute chose en place sans trop de vio[40]lence, nous ramenant enfin après quelque lutte des rues, l'ordre moral, la tranquillité, la liberté. Combien préférable pour le bonheur du pays serait cette alternative! Mais Dieu nous permettra-t-Il d'échapper ainsi à la pénitence sanglante d'une anarchie renouvelée de la sinistre Commune? C'est le secret de l'avenir. En attendant, notre république commence à récolter ce qu'elle a semé, et les anarchistes présidenticides de 1894 sont la conséquence logique des terroristes régicides de 1793. Sur la grande tombe qui vient à peine de se refermer, écoutez ce terrible dialogue à cent ans de distance, entre le grand-père régicide et les assassins du petit-fils.

Lazare Carnot, 1793: "Il n'y a pas d'innocents parmi les aristocrates"....

Emile Henry, 1893: "Il n'y a pas d'innocents parmi les bourgeois"....

Lazare Carnot, 1893: "La justice et la[41] politique veulent également la mort de Louis Capet"....

L'étendard de la liberté flotte sur les murs de Lyon.... Frappez, exterminez les satellites des tyrans....

Caserio Santo, 1894: "J'ai tué Sadi Carnot parce que c'est un tyran"....[3]

Et voilà que le râle du petit-fils s'éteint dans celui de Commune Affranchie, dans celui de la boucherie Lyonnaise ordonnée par le grand-père[4].......................

Qui donc, parmi nous tous dont les aïeux furent plus ou moins coupables au début de ce siècle, oubliera devant l'attentat anarchiste qui en ensanglante le déclin, les ter[42]ribles paroles des Ecritures Saintes: "Et les fautes des pères retomberont sur les enfants" ...................................................................

Examinons les deux hypothèses qui seront un jour l'histoire.

Il y a un courant socialiste en France qui inquiétera tôt ou tard la campagne: il n'a rien de surprenant au reste, en un pays où personne n'émigre, quoique la politique coloniale de notre république ait été incontestablement bien dirigée depuis la disparition de Freycinet, avec sa néfaste perte de l'Egypte. En effet, malgré la diminution régulière de notre race, vingt mille en 1892, tandis qu'il y avait quatre cent mille excédants de naissances en Angleterre, et six cent mille en Allemagne, malgré ce terrible point noir de l'avenir, le pays a trop de bras inoccupés et surtout trop de déclassés par la grâce d'une[43] éducation obligatoire mal dirigée, pour qu'il n'y ait pas péril en la demeure à bref délai. Le socialisme ne devrait pas avoir sa raison d'être tant qu'il restera sur notre planète un seul pouce de terrain à conquérir, à défricher, de par le droit de premier occupant: mais il peut se discuter en un pays où l'émigration est aussi difficile que complètement sortie des mœurs: comme les inégalités sociales y croissent avec l'irréligion, la haine de la société vous monte tous les jours plus forte à la tête, derrière ces soupiraux d'usine, d'où l'on voit trotter gaiement au soleil les luxueux équipages de certains financiers, avec leurs femmes, jolies poupées de luxure qu'un rien énerve, tandis que les nôtres, fatiguées à vingt ans par un travail à peine rémunéré, meurent à la tâche en vraies bêtes de somme.

Tristes nécessités sociales, viennent-ils nous dire, ceux à qui la vie est bonne, cette[44] belle vie que le Dieu qui donne aux oiseaux leur nourriture, aux lys leur magnifique parure, nous aurait fait douce sans eux, cette vie exécrable de l'ouvrier du dix neuvième siècle, plus esclave en son corps, en son âme, en ceux de ses enfants, que l'esclave d'avant le Christ... que de fois nous avons ressenti avec eux cette soif sauvage du sang d'autrui, que de fois nous avons compris sans les excuser, les malheureux qui s'oublient une minute en un cauchemar rouge... eux aussi, peut-être, ils ont passé par ces lycées où de savants, pédants et athées professeurs nous parlaient avec un enthousiasme largement rémunéré, de la société à sauvegarder, de l'honneur des citoyens, de la dignité humaine..... des mots, des mots, de misérables mots vides à ceux qui avaient faim, qui avaient soif de justice, de fraternité, de Celui seul qui peut les faire patienter en cette vie, du nommé Dieu[45] qu'on avait laissé à la porte. Ensuite, quand l'heure mauvaise arrive où la tentation est trop forte, quand cette âme désespérée se venge d'une société qui l'a élevée comme un brute utile, indispensable à son bon fonctionnement, quand Dieu enfin s'en va tout-à-fait et que la bête féroce parle, voyez-les tous, se consulter effarés, indignés de cette révolte de leur œuvre animale, atterrés devant la débâcle finale! Pourtant, ce sont eux-mêmes qui l'ont voulu.

Il y aura chez nous, demain peut-être, une crise socialiste. Les meilleurs esprits la voient venir, tout le monde en a une souleur. La campagne s'en émouvra: car, si Paris règne en France, si la province est morte depuis longtemps sous les mille et une tentacules de sa formidable centralisation, la politique ne nourrit pas le paysan suant au champ de ses aïeux, comme elle fait souvent prospérer l'ouvrier des villes: il lui[46] faut avant tout la paix et la tranquillité, le reste lui est assez indifférent. Dieu lui parle encore souvent, à ce travailleur-là, loin des cabarets, dans le grand air vigoureux de la campagne, lorsqu'il sème ou récolte pour la patrie, ou que le soir venu, lentement il rentre au logis paternel demander le pain quotidien..... quand les villes seront en feu, quand leurs émissaires viendront prêcher aux cultivateurs leurs doctrines anarchiques, ceux-ci auront peur du socialisme, comme ils eurent l'horreur de la commune. Les élections réclameront la vieille monarchie, qu'on s'en va toujours chercher aux heures d'angoisse, et la France républicaine et démocrate se réveillera royaliste, mais toujours démocratique, au vrai sens du mot, surtout avec la très haute intelligence qui se nomme Monseigneur le Comte de Paris, avec aussi son noble fils, le duc d'Orléans, qui fit battre un jour le cœur du pays[47] en réclamant l'honneur de servir sous son drapeau, malgré la plus injuste des proscriptions.

Le beau réveil...mais pour en arriver là, que de flammes que de ruines, que de sang versé d'un bout de la France à l'autre, quelle terrible expiation enfin par la lutte fratricide d'une Commune agrandie!...

Il y a cependant tant de gens qui prient et qui font pénitence en France, qu'il nous est permis d'espérer échapper à cette période de transition, et de croire plutôt au moment psychologique, où une seule dépêche du ministère de la guerre proclamant l'état de siège durant un essai de mobilisation générale, nous donnera enfin le coup d'Etat purificateur.

Entendons-nous bien sur ce point: il y a des coups d'Etat qu'on ne saurait trop condamner, contre lesquels tout citoyen a le droit, le devoir de résister jusqu'à la mort: ce sont ceux qui renversent l'ordre de[48] choses établi pour escamoter les libertés publiques au profit d'un dictateur. Nés dans la violence, ils meurent dans la tyrannie; ce sont de véritables fléaux publics. Le Brésil nous a offert récemment ce triste spectacle, comme presque toutes les lamentables républiques de l'Amérique du Sud.

Mais lorsque la société est menacée d'une catastrophe, lorsque le socialisme, lorsque l'anarchie hurlent à ses portes, comme au début du siècle, comme en 1852, comme en 1894, nous disons, nous croyons que le coup d'Etat est nécessaire, qu'il est providentiel; nous disons, nous croyons qu'il est de plus, légitime, lorsqu'il se fait au nom d'un principe qui nous fit quatorze siècles de patrie commune. La lutte des rues, le sang innocent répandu avec le coupable, les proscriptions nécessaires, la force enfin omnipotente durant quelques jours, tout cela est profondément regrettable, mais aussi profon[49]dément désirable, lorsqu'il s'agit du salut de la nation.

Nous ne pouvons souhaiter une catastrophe extérieure, comme les républicains de 1869 et 1870, quand ils voulaient arriver au pouvoir: le gouvernement actuel n'y survivrait pas, mais que Dieu nous garde la république, si elle ne devait disparaître qu'au prix de tels sacrifices! D'autre part, qui dira la puissance du général X ... qui nous ramènera un peu du soleil d'Austerlitz sur un champ de bataille prussien? Qui dira l'enthousiasme, le dévouement, l'adoration de la patrie pour lui, pour ses croyances, s'il est victorieux, s'il est fort? Car, ainsi finissons-nous ce dix-neuvième siècle dont l'aurore fut si pleine de toutes les énergies: nous en sommes si pauvres à présent, l'anémie nous a tellement envahis que tous, socialistes et monarchistes, impérialistes et opportunistes, nous avons soif, nous avons[50] faim d'une grande énergie, nous allions dire d'une grande brutalité. Si le brutal qu'il nous faut est un sincère comme le fut Mac-Mahon, avec ses hésitations en moins, les descendants de ce Béarnais qui connaissait si profondément cette jolie gauloise, la France, et ce Paris qui valait bien une messe, reviendront présider aux destinées de la nation.

Dans l'état de rouage merveilleux où se centralise actuellement une administration toujours prête à suivre le mouvement initial, il suffit d'avoir un ministre croyant; nous disons croyant, parce que la tâche sera dure, après vingt-deux ans de république, la responsabilité lourde à porter, et les conseils de l'entourage bien hésitants, bien timides, jusqu'au lendemain du succès; nous disons croyant encore, parce qu'il faudra un homme qui se rappelle la belle parole d'Henri V: "Ma personne n'est[51] rien, mon principe est tout," un convaincu pour qui le roi sera l'incarnation de la Patrie, la disparition de l'athéïsme officiel, le retour à la foi de nos pères, à la forme de gouvernement sous laquelle la France a grandi au premier rang des nations.

Et puis, au lendemain du coup d'Etat légitime, s'il en fut jamais, beaucoup de décentralisation qui transporterait loin des grands centres le siège du gouvernement, et referait même à chaque province une vie propre dans le grand concert de la nation, des ministres ne dépendant que du chef de l'Etat comme sous l'Empire, comme aux Etats-Unis, une réduction de la plaie coûteuse du fonctionnarisme,[5] et en conséquence une diminution des impôts agraires, [52]voilà qui rendrait vite au souverain légitime le cœur de son peuple, surtout lorsqu'il constaterait que si la forme change, le fonds du gouvernement devient réellement alors la Respublica!

Il battrait d'accord avec celui de son souverain, comme jadis aux jours d'épreuve, lorsque Jehanne la Pucelle sauva presque malgré elle la monarchie française, comme aux jours de triomphe de la campagne de Hollande, sous Louis XIV, ou encore, quand à la veille de Denain, le roi-soleil si coupable et pourtant si grand, disait à Villars: "Partez Monsieur le Maréchal, joignez l'ennemi, combattez-le; si vous êtes repoussé, vous me retrouverez sur la Somme avec les Français que j'aurai ralliés, et si la fortune nous est toujours contraire, je m'ensevelirai avec eux sous les débris de la monarchie." Depuis, hélas, le triste règne de Louis XV a suffi pour tuer cette[53] croyance du sujet en son roi, incarnation de la Patrie; après l'ouragan de 1789, l'épopée impériale aussi sublime que faible en sa puissance dynastique, la restauration, si sage le troisième empire si riche, rien n'a pu faire revivre en nous cette foi de nos pères. Qui nous dit qu'elle ne se relèvera pas au sortir des dures leçons de l'expérience?

Quant aux excellents esprits trop généreux ou trop naïfs qui attendent tout des urnes d'un électorat assez sage, assez réfléchi pour voter en pleine liberté de conscience, laissons-les à ces jeunes illusions que l'expérience dissipera vite. Employer indirectement l'argent des contribuables à soutenir, ou, disons le vilain mot, à acheter les principaux meneurs, voilà le vice essentiel, voilà aussi la force de la souveraineté absolue du peuple. Plus le corps électoral sera formé aux doctrines athées, plus grandes seront ses prétentions aux veil[54]les des élections, plus formidables ses appétits, et les millions, les fonctions destinées à l'assouvir devront se multiplier à l'instar des pains de l'Evangile. Les générations dorment sous terre, les siècles ont passé, et le cri "Panem et circences" résonne toujours sous une autre forme, mais avec autant d'âpreté qu'aux anciens jours des Césars. La machine gouvernementale est assez riche pour payer sa corruption: le grand nombre paie les taxes qui servent ensuite à le séduire; le petit nombre saigne le pays et les rois du jours, les cent fois millionnaires, unis aux grands industriels, appuyés sur la presse acheminent vers les urnes leurs troupeaux d'électeurs, tandis que la majorité reste indifférente et passive.

Lâcheté souvent, mensonge et hypocrisie toujours, telle est en trois mots la politique des démocraties dont le seul dieu, vieux comme le monde, est devenu le Veau[55] d'or! De temps à autre, la conscience populaire se réveille, surtout en France: son souffle puissant balaie l'arène politique, lui refait une virginité comme au lendemain de 1870; et puis, la tempête s'apaise, le calme revient, et avec lui renaissent l'indifférence des bons, l'activité des mauvais.

Toute société humaine comme tout être humain a un commencement et une fin: M. de la Gervaisais l'a tristement dit: "l'état de corruption morale même à celui de la dissolution sociale." Nous allons y tomber en Europe, en France, où l'alcoolisme fait d'effrayants progrès, 4 litres 32 d'alcool par tête, après la Belgique, 4.91, l'Allemagne, 4.40, et avant l'Angleterre, 2.70! Nous allons à l'abîme avec notre dépopulation croissante, qu'un décret humain ne saurait arrêter, qu'un grand effort religieux pourra seul transformer. La monarchie seule peut nous le donner et nous sau[56]ver, elle qui nous perdit sous Louis XV, après nous avoir fait la première nation de l'univers: elle nous ramènera les principes qui firent la force de nos aïeux, ces Français qui prenaient le monde, lorsque les Anglais profitèrent de leurs fautes antérieures pour se substituer à leur place. Car, la véritable rivale de la France, comme aux temps du roi de Bourges, comme aux jours sombres de Louis XV, comme au deuil de Waterloo c'est toujours l'Angleterre envahissante, insatiable, business like, l'Angleterre monarchique avec ses diplomates plus tenaces encore que ses soldats, l'Angleterre que ses qualités extraordinaires feraient maîtresse du monde, sans la France....

Car la France peut dormir quelquefois, mais c'est pour se réveiller plus forte, plus expansive, plus vivante à l'heure où tous la croient morte, car quel que soit son gouvernement, bon ou mauvais, la France est tou[57]jours la France, c'est-à-dire le pays généreux par excellence, la nation chevaleresque qui donne sans compter son or et mieux encore son sang pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui est grand ici-bas: car la France enfin, avec toutes ses faiblesses, toutes ses misères, mieux que tout autre peuple au moment de tomber, sait faire pénitence d'amour, relever les yeux vers la croix, et crier au Christ qui aime les Francs: "Sauve la fille aînée de l'Eglise! car elle croit, car elle aime, car elle espère encore envers et contre tous! Credo!....



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NOTES:


[1] Présenté par le député Léveillé.


[2] Michelet.


[3] Toutes ces paroles sont historiques.


[4] Décret du 18ème jour du 1er mois de l'an 11 de la république (9 octobre 1793):

Art. 3. La ville de Lyon sera détruite.

Art. 5. Cette ville cessera de s'appeler Lyon: elle s'appellera Commune Affranchie. Sur les débris de Lyon sera élevé un monument où seront lus ces mots: Lyon fit la guerre à la liberté; Lyon n'est plus.


[5] Le fonctionnarisme nous coûte en 1894 quatre cent quatre-vingt millions par an soit deux cent millions de plus qu'en 1875!



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Percherons and Normans: Origin and sketch of the race: its qualities and defaults, by Raymond Auzias-Turenne, Director of the Haras National.

Les Haras de France et l'élevage du Cheval dans la Province de Québec, par Raymond Auzias-Turenne, Directeur du Haras National, commissaire honoraire de la Province de Québec à l'Exposition Universelle de Chicago.

L'assolement sidéral de M. G. Ville et la Betterave à Sucre au Canada, par le Cte des Etangs, lauréat de la Société des Agriculteurs de France, secrétaire-général du Syndicat Central des Agriculteurs du Canada.

Horse and Cattle Breeding in the Province of Quebec, by M. R. Ness, Director of the Farmer's Central Syndicate of Canada, Member of the Council of Agriculture, Quebec.

Régime au vert comparé au régime au sec, par le Rév. Frère Charest, de l'Institution des Sourds et Muets, Directeur du Syndicat Central des Agriculteurs du Canada.

Les avantages de l'Industrie Betteravière pour le Canada, par M. Joseph Beaubien, vice-président du Syndicat Central des Agriculteurs du Canada.



Note de Transcripteur:

1. page 22—un espace a été ajouté entre 'sans' et 'que'

2. page 43, 44—le mot 'rénuméré' a été remplacé par 'rémunéré'






[Fin de République Royale par Raymond Auzias-Turenne]