


NOTE DU TRANSCRIPTEUR: Pour faciliter la lecture des légendes nous les avons
transcrites en caractéres d'imprimerie, en respectant l'archaïsme et la créativité orthographiques de l'auteur.
Préface
Ci-derrière commence l'histoire véritable de Monsieur Crépin, et comme
quoi il n'éleva pas ses onze fils sans bien des vicissitudes provenant
de la supériorité des méthodes de la tâterie phrénologique, et des
engouemens de Madame son épouse. A la dite histoire sont annexés les
circonstances et le sort final de Craniose, Bonichon, Fadet, et
l'emplâtre de madame Pécrin, avec son sort final aussi.
Va, petit livre, et choisis ton monde, car aux choses
folles, qui ne rit pas baille, qui ne se livre pas,
résiste, qui raisonne se méprend, et qui veut rester
grave, en est maître.
Autographié chez Caillot à Paris

De retour de son voyage, Mr. Crépin éprouve le plaisir de serrer sa
famille dans ses bras.

Les enfans de Mr. Crépin témoignent à leur père toute leur filiale
allégresse.

Monsieur Crépin assiste aux jeux de ses enfans.
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Monsieur Crépin assiste au repas de ses enfans.
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L'Instituteur des jeunes Crépin est présenté à Monsieur leur père.

Monsieur Crépin assiste à la promenade du soir dont l'Instituteur lui
explique les propriétés dans son systême.

Monsieur Crépin assiste à la couchée dont l'Instituteur lui explique
les propriétés et l'organisation dans son systême.

Mr. Crépin se trouve un peu fatigué de cette première journée.
L'Instituteur lui explique comment dans son systême, il procède du
général au particulier.
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Madame Crépin ajoute sur le systême de l'Instituteur quelques
particularités que celui-ci avait omises par modestie.
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Mr. Crépin ne ferme pas l'oeil de toute la nuit.
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De grand matin, Mr. Crépin assiste aux soins de propreté, dont
l'instituteur lui explique la portée hygiénique et morale, dans son
systême.

Pendant que les jeunes Crépin font un devoir, Mr. Crépin demande où est
l'instruction. L'Instituteur répond que tous commencent à procéder
très-bien du général au particulier.
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Ayant fait venir Joseph, l'Instituteur lui demande où est
Besançon. Joseph répond instantanément que Besançon est dans
l'ensemble des choses, qui comprend l'Univers, qui comprend le
monde, qui comprend les quatre parties du monde, qui
comprennent l'Europe, où se trouve Besançon.
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Mr. Crépin ayant appelé Léopold, lui demande
lui-même, combien coûteront huit livres de Saindoux,
à cinq florins la livre? Léopold répond
instantanément que le Saindoux est dans l'ensemble
des choses, qui comprend l'univers, qui comprend les
trois règnes, qui comprennent le règne animal, qui
comprend le cochon qui comprend le Saindoux.
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Mr. Crépin trouve son fils Léopold peu avancé sur l'arithmétique.
L'Instituteur lui explique que dans son systême, l'arithmétique est la
dernière chose que Léopold saura, parce qu'il doit auparavant savoir
l'Algèbre, qu'il ne commencera qu'après avoir préalablement approfondi la
quantité en général.
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Mr. Crépin expose pourquoi le systême lui semble absurde;
Madame Crépin rétorque comme quoi il est admirable.
L'Instituteur s'en rapporte entièrement à Madame qui seule en
a suivi les applications et les succès vraiment étonnans.
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L'affaire s'échauffant, Madame Crépin prend mal, et
Monsieur Crépin argumente vivement. L'Instituteur
le traite de stupide, incapable de saisir une
méthode, et de comprendre un systême.
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Mr. Crépin ayant intimé à l'Instituteur l'ordre de sortir sur le champ
de chez lui, l'Instituteur se retranche derrière le mobilier, et y
proclame énergiquement la supériorité, l'efficacité et l'antériorité de
son systême.
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Les jeunes Crépin accourent au bruit et croyant que Mr. Crépin
a reçu un coup de chaise, escaladent l'Instituteur et procèdent
contre lui du général au particulier.
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Après quoi, les jeunes Crépin étant revenus, et retrouvant madame leur
mère saine et sauve, lui sautent au cou pour lui en témoigner toute leur
joie.
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L'Instituteur laissé dans un fossé, y soutient envers et contre
tous la supériorité et l'antériorité de son systême.
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Pour venger son systême méconnu, l'Instituteur casse les vitres de la
ferme.
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Le Garde champêtre ayant paru, l'Instituteur proclame à la
face du Ciel que ni la force brutale, ni la violence stupide,
ni une soldatesque effrénée n'auront la moindre action sur ses
convictions intimes.
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La commune étant accourue au bruit, l'Instituteur se réfugie sur un
poirier d'où il proclame que les fureurs d'une populace imbécille ne
pourront pas davantage sur ses convictions intimes.
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La branche ayant cassé, l'Instituteur tombe sur le Marguillier,
et l'oblige à confesser la supériorité et l'antériorité de son
systême, pendant que la commune s'enfuit à toutes jambes.
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Après quoi l'Instituteur échappe comme il peut aux chiens de garde.
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Cependant monsieur Crépin, déjà fort embarrassé de l'éducation
de ses enfans, reçoit comme il peut les reproches de Madame
Crépin, qui regrette un systême qu'elle avait compris.
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Monsieur Crépin ayant demandé un Instituteur, par les petites affiches,
plusieurs viennent se présenter chez lui.

Monsieur Crépin ayant choisi un Instituteur qui lui plaît,
madame Crépin lui en propose un qui lui plairait davantage.
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Mr. Crépin déjà fort embarrassé de l'éducation des ses
enfans, est contrarié par les propos de Mde. Crépin qui
lui reproche d'avoir chassé un homme d'esprit pour prendre
une bête.
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Monsieur Crépin, par manière de conciliation, engage les deux
Instituteurs,
et leur assigne à chacun un local particulier.

Mr. Bonichon met aussitôt les Crépin cadets à sa méthode qui consiste à
étudier la physique dans les Aventures de Télémaque, à la manière Jacotot.
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Mr. Fadet met aussitôt les Crépin aînés à sa méthode qui
consiste à tout réduire en nombres fractionnaires, selon un
systême dont il est l'inventeur.
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Le soir venu, les deux Instituteurs se promènent dans la grande allée,
et sont d'accord sur ce point que leur prédécesseur n'y entendait rien.
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Les Crépin cadets ayant mis toute la cuisine en physique
Mr. Crépin reçoit les plaintes de sa cuisinière.
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Les Crépins aînés mettant tout le salon en nombres fractionnaires,
Madame en augure avec délices qu'ils entreront tous à l'École
polytechnique.
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Madame Crépin complimente Mr. Fadet, Fadet en prend occasion
de développer sa théorie tant sous le rapport interne, que
sous le rapport externe ou extérieur.
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Cependant la cuisinière verse un pot d'eau grasse sur Bonichon pour lui
apprendre à physiquer sa cuisine.
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Mr. Bonichon porte plainte. Mr. Crépin donnant tort à la
cuisinière, est contrarié par Madame Crépin qui donne tort à
l'Instituteur.
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Pendant que Mr. Bonichon va changer de linge, Mr Fadet donne raison à
Madame Crépin, et prouve que le mal vient de la méthode vicieuse de son
confrère.
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Entendant cela Bonichon revient sur ses pas pour défendre sa
méthode, et foudroie d'un sorite et de deux dilemmes la
cuisinière que donne raison à Mr. Fadet et à Me. Crépin.
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L'affaire s'échauffant, Madame Crépin s'évanouit, et Mr. Crépin, qui
donne raison à Bonichon, retient les jeunes Crépin dans leur chambre.
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La cuisinière ayant été chercher sa lèchefrite délivre Mr.
Fadet et expulse Bonichon de la maison, à perpétuité.
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Bonichon s'enfuit à travers champs en exhalant sa rage.
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Bonichon reste trois jours dans les bois se nourrissant de
fruits sauvages.
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Bonichon réfléchissant qu'il n'a jamais réussi à rien
a des idées noires en considérant un abîme sans fond.
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Se méfiant de lui-même, Bonichon regagne la plaine avant la nuit.
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Arrivé dans la plaine, Bonichon obtient par la protection
secrète de Monsieur Crépin une place de sous-douanier.
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Fadet qui a beaucoup souffert, reçoit les félicitations de ses jeunes
élèves pendant que Mr. Crépin est vivement sollicité par sa femme et par
sa cuisinière de lui confier l'éducation de tous ses enfans.
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Fadet enchanté attribue son triomphe à la supériorité de sa
méthode. Mr. Crépin le prie de laisser là sa méthode et de
donner des bonnes manières à ses enfans.
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Fadet ayant fait acheter aux jeunes Crépin un lorgnon et un chapeau,
leur enseigne les règles de l'urbanité française.
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Comment, en écoutant un supérieur, on fléchit légèrement le
dos, et on marque l'empressement avec la jambe gauche.
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Comment, interpellé par un inférieur, on marque la distance sociale en
retournant seulement le buste pour lorgner ce que demande cet individu.
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Comment, à un homme qui vous insulte on se borne à présenter
avec calme sa carte d'adresse.
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Comment, si un supérieur éternue, on s'incline
légèrement, en simulant un souhait du bras gauche.
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Comment si une incongruité quelconque se fait apercevoir, on feint
d'admirer le paysage, ou l'on suppose avoir entendu un petit bruit dans
la rue.
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Comment, dans une société légère et spirituelle, on se pose
pour causer spectacles, casinos et en général les superfluités
à la mode.
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Comment on se lève en partant d'un éclat de rire à
un trait d'esprit échappé à un supérieur.
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Comment on se subordonne avec convenance à la maîtresse de la maison.
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Comment on prend congé.
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Les jeunes Crépins, en se subordonnant avec
convenance à Madame leur mère lui causent une
admiration mélangée d'un doux attendrissement.
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Monsieur Crépin ayant fait par mégarde un calembourg, tous les jeunes
Crépins se lèvent en partant d'un grand éclat de rire.

Monsieur Crépin ayant éternué dans la soupe, les jeunes Crépin courent
aussitôt vers la fenêtre, pour feindre d'admirer le paysage.

A la promenade du soir, Fadet fait remarquer à Mr. Crépin, combien sa
famille a gagné en urbanité française.
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Au retour les jeunes Crépin, passant auprès d'une vigne, y
entrent deux à deux.
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Interpellés par le garde champêtre, les jeunes Crépin retournent
seulement le buste pour lorgner ce que demande cet individu.

Le garde champêtre s'emportant en insultes, les jeunes Crépin se bornent
à lui présenter avec calme leur carte d'adresse.

Pour s'assurer de l'amende le garde champêtre enfile d'un coup de sabre
les onze chapeaux et s'enfuit.
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N'ayant plus leur chapeau, les jeunes Crépin jettent leur
lorgnon et perdent leur tenue, et font de mauvaises manières
en retournant chez eux.
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L'autorité civile arrive avec une plainte et demande des dommages et
intérêts. Mr. Crépin s'emporte contre Fadet à qui il reproche de
corrompre le naturel bien né des ses enfans.
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Mr. Crépin continuant à s'emporter, Fadet admire et déplore en
même temps la stupidité d'un pareil homme.
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Mr. Crépin s'emporte contre sa femme qui intercède en faveur d'un
systême qu'elle avait compris, et déclare qu'il chasse Fadet à l'instant
même.
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A ce mot insultant Fadet présente avec calme sa carte d'adresse
et Made. Crépin s'évanouit.
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L'Autorité s'impatientant, Fadet déclare qu'il se rend caution et otage
de l'urbanité française de ses jeunes élèves, et se rend volontairement
en prison.
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Fadet en prison jette sur le papier quelques quatrains sur sa
captivité.
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Fadet refusant une grossière nourriture maigrit
assez pour pouvoir, au bout de quelques jours
passer à travers les barreaux.
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Fadet ayant poussé du pied la guérite, emprisonne la force armée, et
s'enfuit.
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Fadet va se cacher dans le comble de la maison Crépin, où la
cuisinière lui apporte un bouillon.
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Ayant levé quelques tuiles, Fadet lorgne la beauté
du paysage.
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Fadet réfléchissant qu'il n'a jamais réussi à rien, est préservé de
toute idée sinistre par des idées avantageuses.
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Après un mois passé dans le comble, Fadet obtient par la
protection secrète de Mr. Crépin une place de teneur de livres
dans une maison de cravates en crinoline, imperméables.
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Cependant Mr. Crépin, fort embarrassé de l'éducation
de ses enfans, conjure Madame Crépin de se
désévanouir.
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L'évanouissement se prolongeant, Monsieur Crépin envoie en toute hâte
Léopold chercher le Docteur.
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Le Docteur s'étant trompé de nom va chez madame Pécrin à qui il
ordonne un emplâtre de neuf pouces sur les reins.
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Le Docteur ne venant pas, Mr. Crépin se rend chez
celui-ci qui lui apprend qu'il en sort, et que
l'ordonnance est déjà chez le pharmacien.
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Monsieur Crépin court chez le pharmacien qui lui remet l'emplâtre de Mme.
Pécrin.
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Le picotement de l'emplâtre désévanouit Madame Crépin au bout
d'un petit nombre d'heures.
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A la promenade du soir, Madame Crépin perd son
emplâtre.
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L'emplâtre est ramassé par Jean Chiffon.
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Qui la vend pour cinq sous à Grenétar l'Écrivain public.
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Qui la vend pour vingt sous à Gagnepain, l'Épicier
frater.
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Qui le vend pour trente sous à Bonichon qui s'en fait du bien.
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Cependant Monsieur Crépin étant déjà très perplexe, quant à
l'éducation de ses enfans, est très contrarié par la visite
d'un phrénologue célèbre qui lui est recommandé.
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Le Phrénologue ayant été prié à diner, tâte, en passant, la cuisinière,
et lui reconnaît la bosse des bonnes sauces et des coulis succulens, si
elle s'applique bien.
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Mr. Crépin étant survenu, prend à part Mr. Craniose, et le
prie qu'il ait à s'abstenir de toute phrénologie dans sa
maison.
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Le repas est fort gai, mais ce qui contrarie Mr. Crépin, c'est que sa
femme raffole de la phrénologie, et meurt d'envie d'être tâtée.

Au dessert, Mr. Crépin prend à part Mme Crépin et la prie de ne pas
attirer la conversation sur ce sujet.
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Madame Crépin n'y pouvant plus tenir engage Mr. Craniose à
démontrer sur une bouteille, rien que pour voir. Monsieur
Crépin s'y oppose vivement, en déclarant que la phrénologie
est une science immorale et matérialiste.
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Mr. Craniose est charmé d'entendre parler ainsi, afin d'avoir l'occasion
de détruire des préventions aussi honorables qu'injustes. «La phrénologie,
Monsieur, la phrénologie est au contraire une science éminemment
spiritualiste; en effet, réduisant tout à l'organisation et à la matière,
elle laisse l'âme absolument en dehors de ses investigations. Donc, ne
s'occupant pas de l'âme, elle est loin de l'attaquer.» Madame Crépin donne
raison à Mr. à Mr Craniose.
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Passant ensuite aux applications les plus élémentaires de cette
science sublime à la législation, à l'éducation, à la religion,
à la morale, à l'hygiène, à l'anthropologie, à la polygamie, à
l'ontologie;... etc., etc. Mr. Craniose recule en entrevoyant
l'avenir qui attend les Sociétés!!!!
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Passant ensuite à la preuve démonstrative, Mr. Craniose déballe sa
collection et démontre que la phrénologie s'appuis sur des faits, que
ces faits sont des bosses, que ces bosses indique le vol dans les têtes
qui ont appartenu à un voleur, le meurtre dans les crânes qui ont
appartenu à un meurtrier, et le savoir dans les crânes qui ont appartenu
à un savant.

Madame Crépin n'y pouvant plus tenir, exige de son mari qu'il lui
permette de se laisser tâter.
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Mr. Craniose, tâtant sans rien dire, Mr. Crépin lit dans son
expression.
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Mr. Craniose ayant poussé un cri de découverte, Mr. Crépin pousse un cri
involontaire.
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L'opération terminée, Mr. Craniose, malgré les instances de
Mde. Crépin déclare qu'il n'a rien dit, et qu'il ne dira rien.
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Alors Madame Crépin supplie son mari de se faire tâter.
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Madame Crépin ordonne, exige, et menace de se r'évanouir.
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Mr. Crépin se livre en protestant. Mr. Craniose, du premier coup,
déclare que c'est là un des plus curieux crânes qu'il ait rencontrés,
une conquête pour la science.
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Passant à l'analyse détaillée, Mr. Craniose trouve dans ce
crâne-là des montagnes de sagesse, mais malheureusement une
petite bosse de préventions portée sur une petite bosse de
préjugés qui tend à disparaître sous une bosse de scientivité
que l'on sent croître. Il y trouve, en second lieu un rudiment
d'hommicidité qui a été étouffé par un mamelon d'humanitivité,
enté lui-même sur une petite colline de paternitivité. Il y
trouve en troisième lieu une légère bosse d'entêtement qui
combat une bosse de faiblesse, et, entre deux, une bosse de
jugement qui combat l'une par l'autre. Il y trouve en quatrième
lieu, un monticule de religiosité qui a écrasé deux tertres
voltairiens. Il y trouve enfin les bosses d'un époux aimable,
dévoué, soumis, digne en un mot de la compagne accomplie à
laquelle il a associé son sort.
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Monsieur Crépin est moins irrité, et Madame Crépin toujours plus ravie
de cette phrénologie.
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Craniose donne communication à ses hôtes d'un grand projet de
Société qu'il se propose de soumettre à l'approbation du
gouvernement. Cette société sera fondée sur les bosses. A la
religion, à la morale et aux lois, Craniose substitue le Grand
Tâteur. Le Grand Tâteur tâte tous les citoyens...
|

...qui ont atteint l'âge de quinze an et les répartit selon leurs bosses.
Ceux qui ont la bosse de la limonade, il les fait ténandiers; la bosse
du pain de sucre, épiciers; la bosse du dos et coin, relieurs; la bosse
de L'hémistiche, poètes; la bosse du bleu de prusse, peintres; la bosse
du bois de réguelisse, droguistes; du ventilateur, fumistes; de la roue
de rencontre, horlogers; et ainsi de suite. Après cela, mettant à part
tous ceux qui ont la bosse du vol, du meurtre, de la strangulation, de
la pendaison, du suicide, de l'asphyxie par charbon ou autrement, il
les déporte pour coloniser les contrées lointaines et sauvages. De cette
façon Craniose obtient une société admirablement organisée, où tout
procédant de la bosse, qui procède du Grand Tâteur, les lois, la morale,
et la religion deviennent superflus; les lois, parce qu'il n'y a plus de
crimes; la morale, parce que chacun suit sa bosse, la religion, parce
qu'il n'en est plus question.
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Madame Crépin trouve le systême admirable, et se réjouit d'en
être; Monsieur Crépin déclare qu'une pareille société serait
aussi méprisable qu'impossible.
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Pendant que Mr. Crépin est sorti pour quelques instans, Madame Crépin
supplie Craniose de faire le Grand Tâteur à l'égard de Léopold. Craniose
est enchanté des bosses et monticules de l'enfant, qu'il augure digne,
en un mot, de la mère accomplie à laquelle il doit le jour. Il lui trouve
en outre, la bosse des saillies et de la calembourgivité, entrée sur la
bosse de l'esprit de répartie, le tout annonçant un homme d'infiniment
d'esprit.
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Ayant la bosse des saillies; Léopold commence par faire une
cabriole qui renverse la collection. Ce qui simplifie
singulièrement les bosses de plusieurs gredins célèbres.
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Monsieur Crépin revient au bruit, demandant quel est ce vacarme. Léopold,
ayant l'esprit de répartie, lui répart:
Papa, c'est un vacarme,
Si vous avez de l'alarme
Prenez de l'eau des Carmes.
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Pendant que Mr. Crépin est sorti pour morigéner Léopold, Me.
Crépin fait tâter Gustave. Mr. Craniose, qui a de l'humeur, lui
trouve la bosse d'un sot moineau.
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Mr. Crépin revient. Étant sot moineau, Gustave s'en prévaut pour sauter
sur le dos de son papa, en fourrant ses pieds dans ses poches.
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Pendant que Mr. Crépin est sorti pour morigéner Gustave, Mde.
Crépin fait tâter Samuel. Craniose lui trouve la bosse des
langues.
|
Samuel qui déteste le latin se met à pleurer. Made.
Crépin demande pour lui une autre bosse.
|

Mr. Crépin étant revenu, et trouvant Samuel rétif et pleurard, ne
conçoit rien au dérangement moral de ses enfans, et en impute la cause à
Fadet qui a gâté leur naturel bien né.
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Made. Crépin fait tâter Nicolas. Craniose lui montre la bosse
de la capacité universelle, sur la tête de Nicolas.
|
Mr. Crépin découvrant qu'on tâte ses fils se fâche
tout rouge contre la phrénologie, pendant que Made.
Crépin se livre à une joie bien naturelle.
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L'affaire s'échauffant, Monsieur Crépin jette tous les crânes par la
fenêtre, et Me. Crépin s'évanouit.

Les jeunes Crépin qui se trouvaient dans le jardin, font aussitôt une
partie de quilles.

Craniose étant descendu pour reprendre ses crânes de gredins est
repoussé avec perte.
|
Craniose se réfugie dans la loge du chien et les jeunes Crépin
continuent leur partie.
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Craniose, rongé de puces, fait rhabiller ses crânes de gredins chez un
raccommodeur de fayence, qui tire parti des meilleurs morceaux et jette
le reste.
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Craniose passe une nuit détestable.
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Ayant emballé sa collection, Craniose va le lendemain prendre une place
dans la diligence de Bruxelles.
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La diligence étant arrivée à la frontière Bonichon recule
d'horreur à la vue des effets du Phrénologue Craniose.
|

En passant à Berg-op-Zoom, Craniose achète d'un enterreur de morts des
crânes de gredins.
|
Arrivé à Bruxelles Craniose donne un cours public de
phrénologie. Il s'attache à détruire les préventions
honorables, puis il passe aux applications élémentaires.
|

Puis, passant à la preuve démonstrative, Craniose montre que la
Phrénologie s'appuis sur des faits, et que ces faits sont des bosses de
gredins.
|
Puis, ayant développé sa théorie du Grand Tâteur, Craniose
recule en entrevoyant l'avenir qui attend les sociétés.
|

Cependant Mr. Crépin déjà fort embarrassé de l'éducation de ses enfans,
est encore contrarié par Mde. Crépin qui, ayant repris ses sens, lui
reproche vivement de l'avoir privée d'un systême qu'elle avait compris.
|
Mr. Crépin renonce au systême des Instituteurs à domicile, et
visite des institutions, pour y placer ses enfans. Monsieur
Gribouille lui explique sa méthode où tous les élèves
remportent des prix, parce qu'elle est fondée sur l'émulation.
|

Mr. Crépin visite les dortoirs qui sont vastes, spacieux et bien aérés,
suivant Gribouille. Madame Crépin trouve que çà ressemble trop à la
décoration des petites Danaïdes.
|
Gribouille explique la nourriture qui est saine, simple et
abondante, conformément au prospectus. Des haricots le matin,
des haricots le soir. Tous les jeudis du vin trempé. Tous les
dimanches, un ragoût à la sauce, composé de viandes variées et
servies en menus morceaux.
|

Gribouille explique les récréations qui ont lieu dans un local champêtre
vaste, bien aéré, et voisin d'un cours d'eau, conformément au prospectus.
Tous les jours, durant une heure, les élèves se livrent dans ce local à
divers exercices, s'y promènent au grand air, où s'y reposent à l'ombre
des arbres, sous la surveillance des pions.
|
Gribouille explique les soins de propreté. Tous les matins, au
point du jour, deux cens élèves, disposés deux à deux, et sous
la conduite d'un pion, défilent sous ce jet frais et abondant.
Gribouille prie d'observer qu'aucune institution dans le pays
ne jouit d'un jet semblable.
|

Gribouille explique les soins d'hygiène. Conformément au prospectus,
tous les élèves, sous la surveillance des pions, sont purgés
mensuellement à l'infirmerie qui est vaste, bien aérée, et voisine aussi
d'un cours d'eau.
|
Mr. Crépin visite un Institut-modèle, où il retrouve le
premier instituteur de ses enfans qui enseigne en procédant du
général au particulier.
|

Mr. Crépin visite l'Institution Farcet, où la méthode est d'instruire en
amusant. Dans ce moment, c'est la leçon d'histoire, où le maître fait
danser la pyrrhique à deux petits Macédoniens en carton.
|
Mr. Crépin visite l'Institution Parpaillazzi, où la méthode
est de faire autrement qu'ailleurs.
|

Mr. Crépin visite l'Institution Bonnefoi, où la méthode est de faire
comme on peut et pour le mieux.
|
Les fils Crépin entrent dans l'Institution Bonnefoi où,
classés, d'après leur force, ils occupent le dernier banc.
|
Madame Crépin communique à Mr. Crépin une iniquité
révoltante; son fils Nicola lui écrit que malgré sa
capacité universelle, Mr. Bonnefoi l'a placé le
dernier de la classe.
|

D'autre part, Mr. Bonnefoi écrit à Mr. Crépin qu'il a à réprimer dans
son fils Léopold (celui qui a la bosse de la répartivité) un grand
penchant à l'impertinence.
|
Mr. Crépin reçoit de Mr. Bonnefoi une note pour trois cents
florins de vitres et pots cassés par Gustave, (celui qui a la
bosse de sot moineau.)
|
Mr. Bonnefoi se plaignant de l'intarissable babil
de Samuel (celui qui a la bosse des langues) Made.
Crépin s'emporte contre l'Institution, et veut que
ses fils en soient retirés à l'instant même.
|

Mr. Crépin s'y opposant formellement, Madame Crépin a une crise.
|
Mr. Crépin se promène en long et en large, en attendant que la
crise soit passée.
|
Madame Crépin revient à elle pour déclarer qu'elle
mourra si on ne lui rend Fadet, Craniose, Farcet,
Gribouille et les systêmes qu'elle avait compris.
|

L'affaire s'échauffant, Mr. Crépin se retire précipitamment dans son
cabinet, d'où il déclare que Mr. Bonnefoi lui semble préférable, et que
ses enfans y resteront.
|
Cependant, Bonichon donne la chasse à un chien tout chargé
d'horlogerie et de bijouterie.
|

Mort de Bonichon. Le contrebandier lui tire dessus pour délivrer
son chien.
|
Cependant Craniose continue à professer publiquement dans la
contré, de façon que ses idées s'y répandent dans le public.
|

Le contrebandier ayant été arrêté est jugé par la Cour d'Assises.
|
L'Accusateur public s'appuyant sur les preuves de
l'instruction, et sur les aveux du contrebandier, flétrit
un crime inspiré par la plus basse cupidité, et commis
avec l'ignoble lâcheté du guet-à-pens....
Il demande que la victime et la Société soient vengées!
|

L'Avocat convient que les apparences sont contre son client.
Il le
suppose même coupable. Mais il se demande s'il n'est pas des hommes que
la fatalité de leur organisation pousse au crime par une pente
inévitable. Il se demandes si, de nos jours, lorsque la science portant
ses investigations jusque dans le replis les plus cachés du cerveau y a
découvert et analysé avec toute la sûreté de son scalpel la cause fatale
et première des passions et des forfaits, il est bien permis à la
société de punir des crimes obligatoires, comme s'ils était des forfaits
volontaires! Pour lui, il a visité, dans la prison, son infortuné client,
et dès le premier aspect, il fut frappé des signes de férocité native
que présentait ce crâne aplati à sa sommité et développé sur ses flancs,
comme celui de la hyène ou du Jaguar. (Ki, un des Jurés demande à son
voisin, ce que c'est que le Jaguar; son voisin, lui répond que c'est une
sorte de Caïman.)
Immolerez-vous, continue l'avocat, dans un chaleureux mouvement,
immolerez-vous celui qui, en dehors de toute moralité, a tué par appétit,
par instinct, par obéissance aux lois d'une nature marâtre envers lui!
Non; vous ne l'immolerez pas! Mais il y a plus; la science, Messieurs,
la science prouve aussi que la vie de l'homme est inviolable, que nul
n'a le droit de l'ôter à son semblable; irez-vous méconnaissant cette
doctrine de haute civilisation, vous rendre complices en quelque sorte,
du crime de l'accusé... à une vie, ajouter la perte, l'irréparable perte,
d'une autre vie, à un cadavre, ajouter un cadavre, à une tombe, une
tombe!! Non, Jurés, vous ne le ferez pas... J'en ai pour garants ces
lumières par lesquelles vous surpassez vos pères, ces lumières
aujourd'hui concentrées tout particulièrement dans cette classe moyenne
à laquelle vous faites l'honneur d'appartenir!
L'Avocat se rassied et reçoit les félicitations des ses collègues.

Après la plaidoirie et les répliques, le Jury se retire pour délibérer.
Sur les quinze Jurés, huit qui ont suivi le cours de Craniose et vu des
bosses de gredins trouvent la défense bien forte, et sept autres qui ont
ouï parler de l'abolition de la peine de mort, ne la jugent pas faible.
Mr. Péclot affirme avoir reconnu sur tête de l'accusé la même bosse que
le professeur Craniose signalait sur le crâne d'un tueur de quatre vingt
neuf. Mr. Bonhomme affirme avoir fait la même observation, et de plus...
la même observation.

Le Jury rentre en Cour, et son chef porte au président qui en donne
lecture, la réponse du Jury conçue en ces termes: Non, l'accusé n'est
pas coupable. Le contrebandier est aussitôt remis en liberté.

Madame Crépin boudant depuis trois mois, Mr. Crépin entre un jeudi dans
sa chambre, pour lui communiquer de meilleures nouvelles. Mr. Bonnefoi
écrit que tous les enfans ont fait des progrès, excepté Nicolas qui
compte trop sur sa capacité universelle.
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Les idées de Craniose étant devenues populaires, jusque dans
les campagnes, on y rencontre des pères tâtant leurs fils et
des oncles leurs neveux.
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Mais à mesure que les idées de Craniose deviennent populaires, elles
deviennent moins à la mode parmi le beau monde. Craniose n'a plus de
souscripteurs à ses cours, bien qu'il se ruine en affiches.
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Au bout de deux ans, Mr. Bonnefoi écrit à Mr. Crépin que dix
de ses fils sont maintenant en état d'entrer au collège, et de
suivre l'instruction publique, ce qui vaut toujours mieux. Il
gardera Nicolas jusqu'à ce qu'il soit revenu de sa capacité.
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Déjà dans une grande gêne, Craniose en est réduit
à composer un livre pour vivre.
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Au bout de onze mois Craniose meurt de misère un jeudi matin, au septième
étage. Il laisse un testament olographe, par lequel il lègue sa théorie
au monde, et son crâne à la science.
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Nul ne réclamant la succession Craniose est porté en terre,
et avec lui, ses trente six crânes de gredins.
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Au bout de cinq ans Fadet meurt un samedi matin,
pour avoir trop serré sa crinoline imperméable.
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Les fils de Mr Crépin après avoir achevé leurs études, embrassent
diverses carrières et s'y comportent tous honorablement. Au bout de
quelques années, Mr. Crépin profitant d'un moment où tous ses fils sont
auprès de lui donne un diner à Mr. Bonnefoi. Au dessert, s'étant levé,
Mr. Crépin porte ce toast: Rien de si commun que les méthodes, rien de
plus rare que la conscience. Buvons, messieurs, à Mr. Bonnefoi, dont les
soins, les lumières et la patience vous ont mis dans la voie du travail
et de l'honnêteté.
FIN