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Titre: Chants Nouveaux
Auteur: Sulte, Benjamin (1841-1923)
Date de la première publication: 1880
Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Ottawa: Imprimerie du journal "Le Canada", 1880
Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 21 novembre 2008
Date de la dernière mise à jour: 21 novembre 2008
Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 201

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PAR


BENJAMIN SULTE


J'aime surtout les vers,
Cette langue immortelle!







OTTAWA
IMPRIMERIE DU JOURNAL «LE CANADA»
Coin des rues Sussex et Murray.


1880


CHANTS NOUVEAUX



AUX LECTEURS


Voilà vingt ans qu'un jour d'orage,
Je mis au feu des manuscrits
Qui portaient pour titre: Courage!
De gais refrains fort mal écrits.

Dix ans plus tard, les Laurentiennes
Osaient franchir le Rubicon.
Quand votre muse fait des siennes,
Il faut la suivre sans façon.

Cependant, la veine s'épuise:
Les Chants nouveaux me semblent froids.
Le vers qu'on lime et qu'on aiguise.
N'a plus la chaleur d'autrefois.

Dans vingt ans, quand je serai sage,
Un éditeur malin viendra
Qui pèsera chaque passage
Et, dégoûté, point n'en voudra.

Faisons donc comme la jeunesse:
Imprimons vifs tous nos couplets,
Afin que le monde en connaisse
Avant qu'on les trouve trop laids!

B.

Mai 1880.






LA CRÉATION DE L'HOMME

(TRADITION SLOVÈNE.)


Avant l'époque où tout commence
Le bon Dieu dormit bien longtemps;
S'éveillant, vit l'espace immense
Au feu de ses regards puissants.

Chaque rayon de sa prunelle
Créait un astre dans la nuit,
Et, d'étincelle en étincelle,
Le beau firmament fut construit.

Dieu s'étonna, nous dit l'histoire;
Il voulut partout voyager,
Sentant que sa force et sa gloire
Ne sauraient trop se propager.

Un jour qu'il planait solitaire,
La sueur sur son front perla;
Une goutte atteignit la terre:
Le genre humain sortit de là.

Ainsi, l'homme vient de Dieu même,
Mais il est né de la sueur:
La loi du travail est suprême--
L'aimer est encor du bonheur.




LES MIETTES DE L'HISTOIRE


Vous m'envoyez un vieux papier
Qui date du siècle dernier
Et dont le texte est de l'histoire.
«Il s'en allait, me dites-vous,
«Périr au panier, aux égouts,
«Comme un obscur et plat grimoire.

Vous l'avez sauvé du néant,
Il va revivre maintenant:
Dans mon livre il aura sa page.
Le lecteur se demandera
Par quel hasard, et caetera,
J'ai pu composer ce passage.

Merci, vous qui savez m'aider;
Car je ne saurais commander
Ni les hommes ni la matière.
Où je trouve je prends mon bien--
Cent un fade et si lent moyen,
Que j'y donne ma vie entière.

Si l'amour de notre passé
N'était quasi tout effacé,
Comme ou se plairait à me rendre
Ces contrats tombés dans un coin
Qui périssent faute de soin
Et qui peuvent tant nous apprendre!

Vieux papiers, sales, déchirés,
Mémoires jaunis, délabrés,
Journaux en loques, paperasses,
Vous en savez plus long, souvent,
Que ne peut en dire un savant
Lorsqu'il n'a pas suivi vos traces.

Un rien est quelquefois a clé
D'un fait, d'un acte révélé
Par l'étude et la patience.
On reconstruit un monde ancien
En y mettant chacun du sien,
Et tout cela, c'est la science.

Ouvrez-moi vos poudreux dossiers;
Prêtez vos antiques papiers:
Nous les ferons parler ensemble.
Puis, un jour, vous les reverrez
Complets, rajeunis, admirés--
Ils le méritent, ce me semble!




CRÉMAZIE

Pour l'album de Mlle Marie-Louise Panet


Rendons hommage à Crémazie,

Le poète inspiré du vieux nom canadien!

En créant notre poésie

Il savait y mêler l'art de l'historien.


Nous descendons de noble race:

Nos exploits ont brillé sur tout ce continent.

Et pour en conserver la trace

Le barde de Québec la marqua dans ses chants.


Crémazie a dissipé l'ombre.

Il avait pris à coeur ce passé glorieux,

Et ses vers, bien qu'en petit nombre,

Nous pénètrent l'esprit comme un trait lumineux

Et nous, les enfants que sa muse

Réveilla pour parler de l'amour du pays,

Empêchons que jamais ne s'use

Le nom qu'il illustra par ses nobles écrits.




SOUVENIR DE CHATEAUGUAY


Un jour que l'ennemi traversait la frontière
Et plantait ses drapeaux dans nos humbles sillons,
Se ralluma soudain la vaillance guerrière
Des anciens Canadiens à l'appel des clairons.
Comme au temps de la Grèce héroïque et sublime,
On vit trois cents héros qui bravaient sa fureur,
Se dresser devant lui d'un élan magnanime
Et le vaincre en marchant au chemin de l'honneur.

Ce jour est immortel. Il brille dans l'histoire,
Il reste comme exemple à nos petits-enfants,
Il a clos noblement nos anciens jours de gloire.
Rien qu'à son souvenir nos coeurs sont triomphants!
Gardons avec amour, pour l'honneur de la race,
Du brillant Chateauguay le renom glorieux.
Que dans notre pays jamais il ne s'efface,
Que partout on l'ajoute aux exploits des aïeux!

Brave Salaberry, tes compagnons fidèles
Ne comptaient pas leur vie en face du danger.
Ils combattaient pour Dieu, le pays et les belles,
Et, tout naïvement, ils savaient s'illustrer.
Quel exemple pour nous que ce patriotisme!
Le dévouement du peuple aura toujours son prix.
Heureux si nous pouvons imiter l'héroïsme
Qu'il a su déployer en sauvant le pays.




AUX EDITEURS DU JOURNAL

LE VINGT-QUATRE JUIN 1880


Pour former un journal unique
Vous prenez tous nos écrivains--
Pas de danger qu'on vous critique:
La presse entière est dans vos mains.

«Ce n'est pas, dit-on, l'habitude,
«La politique a des rigueurs:
«Il faut plaire à la multitude;
«Il faut conserver ses couleurs.»

Conservons mieux que ça, mes frères,
Transmettons à nos petits-fils
Ce que nous tenons de nos pères:
Un grand amour pour le pays.

Unissons-nous, et que le monde
Apprenne que nous existons.
Jamais le respect ne se fonde
Que sur l'or des traditions.

Notre passé rempli de charmes,
Le présent qu'on doit méditer,
Nous fourniront toujours des armes
Quand nous voudrons argumenter.

Ne séparons point nos phalanges.
Sachons comprendre l'avenir,
Et, patients comme ces anges,
Semons afin de recueillir.

Semons la graine de l'histoire:
L'arbre a le terrain pour support.
N'en perdons jamais la mémoire,
Et nous serons un peuple fort.




LES FONDATEURS


L'Idée est, parmi nous, une puissante mère
Qui dicte à ses enfants la leçon du devoir.
Où le vulgaire passe et ne voit que chimère,
Elle dévoile un fait, une aurore, un espoir.

L'esprit des fondateurs est un bien--c'est le nôtre.
Heureux celui qui l'a, qui l'applique au pays!
Il ouvre une carrière, il se consacre apôtre,
Préparant l'avenir qui luira pour ses fils.

Depuis le jour célèbre où, franchissant les ondes,
Cartier vint proclamer ici le nom français,
Nous avons vu changer la face des deux mondes--
Mais notre dévouement a fait tous nos succès.

Il nous a fallu naître au milieu des alarmes,
Affronter la tempête, ignorer le repos,
Subir la trahison, vivre au fracas des armes,
Et de la gloire, enfin, n'avoir que les travaux.

Durant ce long espace où tout se renouvelle,
Rien n'altère, chez nous, les antiques vertus.
Pour les coeurs généreux la pairie est si belle,
Qu'ils regrettent toujours de ne pas faire plus.

Miracle permanent! hier, aujourd'hui même,
Demain et par la suite, en dépit des autans,
Le Canadien cultive avec un soin extrême
La fleur patriotique à l'éternel printemps.

Il est né fondateur, ô filles de mémoires!
Mais travailleur obscur qui tombe sans fléchir,
Lorsque son oeuvre éclate au grand jour de l'histoire,
On a le plus souvent perdu son souvenir.




RALLIONS-NOUS 1


Saint-Jean-Baptiste! un peuple se rassemble
Pour incliner vers toi son noble front.
L'enfant, la femme et le vieillard qui tremble
Suivent, joyeux, l'étendard du Patron.
Il est encore un peuple qui sait croire,
Qui sait aimer, chanter, se souvenir!
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Ne craignons point d'aborder l'avenir.

Quand les héros qui furent nos ancêtres
Quittaient la France et son climat si doux,
Ils refusaient de se donner des maîtres
Sur le vieux sol que nous admirons tous.
Ce qu'ils voulaient?--que la France et sa gloire.
Par leurs enfants ici vinssent fleurir.
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Avec ardeur marchons vers l'avenir!

Quel beau début! quel frais rayon d'aurore!
Qu'ils étaient grands ces jours trop tôt finis!
Après un siècle, on sent vibrer encore
Au fond des coeurs des accents attendris.
Malgré le droit et malgré la victoire,
Nous avons vu nos plaines se flétrir--
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Aimons toujours à parler d'avenir.

Le ciel propice a soumis à l'épreuve
Les descendants des laboureurs-soldats.
De leur berceau sur les bords du grand fleuve
La Foi s'étend par les deux Canadas,
La liberté leur doit des jours de gloire,
Ils l'aiment tant qu'elle a su les bénir.
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Conservons bien ces dons pour l'avenir.

La place est large au soleil d'Amérique:
Le tentateur nous masque le péril;
Ce siècle attire--et notre âge héroïque
Peut s'oublier dans les champs de l'exil.
Poursuivre au loin la fortune illusoire
Est une erreur dont il faut revenir.
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Rallions-nous au cri de l'avenir.

Rallions-nous! qu'un même espoir nous guide,
Qu'un même amour fasse battre nos coeurs,
Et que l'esprit de parti trop rigide
Tombe à jamais devant nos droits vainqueurs!
Sachons reprendre aux pages de l'histoire
Le rang marqué pour nous appartenir.
Des temps passés, nous qui gardons mémoire,
Unis et fiers, songeons à l'avenir.

Note 1: (retour) Musique de C. M. Panneton.



A mon ami, FERDINAND GAGNON

Rédacteur du journal Le Travailleur, de Worcester, Mass.


Vous travaillez pour la patrie.
Je connais l'oeuvre et l'ouvrier.
Là-bas, cette cause chérie
Fut en danger de s'oublier.
Mais, courageux comme un apôtre,
Et patient comme un semeur,
Vous faites cette oeuvre la vôtre:
Applaudissons le Travailleur.

La plume est devenue épée.
C'est notre arme dans le péril.
Nous n'écrivons plus d'épopée
Avec le sabre et le fusil.
Cependant, il faut des conquêtes
A l'artisan, au laboureur,
Et des voix pour chanter nos fêtes:
Applaudissons le Travailleur.

Qu'on organise nos phalanges;
Qu'un même esprit règne chez nous!
Détruisons des craintes étranges,
Nos droits se conserveront tous.
Loin du sol qui nous a vu naître
Vous, tendez vers un sort meilleur.
Nous apprendrons à nous connaître:
Applaudissons le Travailleur.

Savoir attendre est une force.
Travaillons, en attendant mieux.
L'exil, avec sa rude écorce,
Recouvre des coeurs généreux.
Votre idée est pratique et neuve,
Combattez ferme, avec chaleur.
Vous savez supporter l'épreuve:
Applaudissons le Travailleur.




EN RÉPONSE AUX VERS DE
Madame la Marquise de SAFFRAY

Adressés aux Canadiens-français


L'écho lointain que vous faites entendre
Va droit au coeur comme un chant du berceau,
Car, pour la France, en dépit du drapeau,
Tout est resté, chez nous, suave et tendre.

Va droit au coeur comme un chant du berceau,
Le souvenir que votre esprit réveille.
Et, depuis plus d'un siècle qu'il sommeille,
Il nous revient plus charmant et plus beau.

Tout est resté, chez nous, suave et tendre
Envers des jours si souvent regrettés.
Ce cri d'amour que vous nous apportez,
Les Canadiens aimeront à l'entendre.




LA CLOCHE


Qui ne se souviendrait du temps de la jeunesse,
De ces jours où l'espoir attisait la gaîté,
Et quel est le passé qui jamais ne renaisse,
Pourvu qu'on ait le coeur placé du bon côté?

Or, dans mes souvenirs, il en est un, peut-être,
Que mes vieux compagnons ne méconnaîtront pas.
Il vient comme un oiseau vibrer à ma fenêtre,
Ou me joint dans la foule et s'attache à mes pas.

C'est le son de la cloche appelant à l'église
Tout ce peuple affairé que Dieu comble d'amour,
Et qui, simple, s'en va, dans sa plus belle mise,
Lui payer le tribut de son septième jour.

Ce chant ne frappe plus aujourd'hui mon oreille.
J'ai quitté les amis de mon temps d'autrefois.
Tout un monde nouveau m'environne et réveille
Tout ce monde lointain que j'ai vu tant de fois.

Mais dans votre village, en ce lieu solitaire,
Où mon pas voyageur semble dépaysé,
N'ai-je pas reconnu, dans son accent sévère,
La cloche qui sonna quand je fus baptisé!

Où donc avez-vous pris ce clairon qui m'appelle?
C'est le timbre, la voix du cuivre de «chez nous.»
Vous ne comprenez pas tout ce qu'il me rappelle,
Et combien j'aimerais à l'entendre à genoux!

Est-il vrai que le coeur se montre plus sensible
En raison de l'espace et du temps disparu,
Et que, plus on vieillit, plus la pente terrible
Nous rend cher le passé, ce chemin parcouru?

Pourquoi faut-il vieillir! s'en trouve-t-on plus sage?
Nos traces ici-bas se comptent par regrets.
Puis la gaîté s'envole... oh! les «glaces de l'âge»
Ne sont pas un vain mot dont on rira jamais.

L'homme existe si peu. Bienheureux s'il espère.
Heureux s'il se souvient et chérit le passé.
Sa vie est brusquement ramenée en arrière
Par un mot, un objet, un son vite effacé.





NOTRE DRAPEAU 2


Sur un fond blanc qui nous rappelle
Des temps qui ne reviendront plus,
La double croix rouge étincelle
En évoquant d'autres vertus,

Le castor, la feuille d'érable
Ont remplacé les lys anciens.
C'est le présent--qu'il soit durable:
Avant tout, soyons Canadiens.

Note 2: (retour) Le drapeau de l'Institut-Canadien-Français d'Ottawa est blanc, portant les croix anglaises de Saint-Georges et Saint-André, placées l'une sur l'autre, dans l'angle supérieur, près de la hampe. Au centre du drapeau est un castor entouré de feuilles d'érable.



LE VALLON DES RUISSEAUX

DE THOMAS MOORE

(Traduit par un Anglais de mes amis.)


Nulle part ne se trouve un vallon si beau
Que le val où se mêlent les clairs ruisseaux.
Mon goût et ma vie doivent mourir entier
Avant que tes charmes mon coeur puisse oublier.

Ce n'est pas tous les dons de la nature bénigne,
Ton gazon si vert et ton eau cristalline;
Ce n'est pas, je l'assure, tout ton appas riant.
J'y vois un attrait même plus séduisant.

C'est que les amis de mon coeur sont présents
Qui prêtent à tout de nouveaux enchantements,
Et qui sentent que le beau se rend plus joli
Quand il a pour reflet les yeux d'un ami.

Ah! beau val d'Avocq, que je serais heureux
Entouré d'amis dans tes bosquets ombreux,
Où, tout à l'abri d'un monde insensible,
Nos âmes, comme tes eaux, peuvent se mêler paisibles!

[J'ai tenté de soumettre cette pièce aux lois de la versification française:]

Il n'est point de vallons ni si frais ni si beaux
Que toi, gai rendez-vous de tous ces clairs ruisseaux,
Et je perdrais plutôt et le goût et la vie
Avant que de vouloir que mon coeur ne t'oublie.

Ce n'est point la nature aux appas complaisants,
Ni le gazon si vert, ni les eaux cristallines,
O! vallon, que je cherche au pied de tes collines--
J'y trouve des attraits encore plus séduisants:

J'y revois des amis que mon coeur sait comprendre
Et qui marquent ces lieux d'un charme indéfini;
Car on juge la grâce et meilleure et plus tendre
Quand elle a pour reflet les regards d'un ami.

Oh! beau vallon d'Avocq, je saurais me complaire
Dans ces bosquets ombreux, au flanc de tes coteaux,
Où l'amitié, fuyant un monde atrabilaire,
Mêle paisiblement, au milieu du mystère,
Nos âmes et nos voeux, comme ces clairs ruisseaux.





FORT BIEN 3


Seize ans! le printemps de la vie.
Tu comprendras cela plus tard.
Ta jeunesse me fait envie,
J'ai coulé la mienne au hasard.
Quel beau temps pour tout entreprendre!
Quel bon travail pour l'avenir!
Car le travail seul peut nous rendre
Ce que l'âge vient nous ravir.

De l'étude la voix secrète
Fait tous les chagrins s'envoler.
Mais le temps perdu qu'on regrette
Ne revient pas nous consoler.
Recueillir au seuil de l'automne,
Au milieu des chants et des ris,
C'est glorieux quand on grisonne:
Voilà, voilà le plus beau prix.

Il faut devancer à la course
Tous les concurrents paresseux:
La récompense est une bourse
Que tu rempliras si tu veux.
Oui, la science impérissable
Seule fait l'homme indépendant.
Le reste est bâti sur le sable
Et s'écroule au moindre accident.

Vise à plus que ton entourage,
On te couronnera toujours:
Le monde admire le courage
Et le témoigne tous les jours.
Qu'un autre se plaigne et s'afflige
Si Dieu ne l'a pas bien doté,
Mais le talent--noblesse oblige--
Met un premier prix de côté.


Note 3: (retour) Couplets pour M. Léon Gérin, qui a remporté le prix du prince de Galles à l'Université-Laval, juin 1880.



RESTONS JOYEUX

A MA FEMME


Vive la gaîté! Telle est ma sagesse!

Que rien ne nous presse

De lui dire adieu!

C'est plus que de l'or, plus qu'une couronne;

Gardons-la, mignonne,

Elle vient de Dieu.


Heureux le mortel qui, pour héritage,

Reçut en partage

Un joyeux refrain!

Plus le monde va, plus la boule tourne,

Plus vite il retourne

Vers un ciel serein.


L'aimable gaîté, toute franche et ronde,

Qui toujours débonde,

S'échappe du coeur.

Rire de la tête est une sottise;

L'esprit qu'on attise

N'est point le bonheur.


Sans les écouter, plaignons les poètes,

Les «douces musettes»

Pleurant nuit et jour.

L'un gémit le soir et l'autre aux matines--

Petits Lamartines,

Vous faussez l'amour.


La douleur réelle est moins légendaire,

Moins imaginaire,

Moins pleine d'efforts.

Beaux fils de vingt ans, vivez de courage:

Quand viendra l'orage,

Vous serez plus forts.


Chassez les soucis, les soupirs sans nombre,

Ce visage sombre

Malgré le beau temps.

Enfant qui regrette... homme qui rumine...

Ah! la triste mine!

Foin des mécontents!


Que font les chagrins d'un esprit morose!

Voyons tout en rose

Et tout ira bien.

Sans doute, la vie a mille traverses,

Des feux, des averses,

Pour Juif ou chrétien;


Prenons notre part: c'est une échéance,

Soldons la créance,

Et n'en parlons plus!

Respirer gaîment dans leur atmosphère

Est facile affaire

Aux moins résolus.


Vive la gaîté! C'est elle, mignonne,

Qui nous environne--

Allons notre train!

A ton petit vieux, ma petite vieille,

Tu riras, pareille,

Au siècle prochain.





SON PETIT NOM


Pourquoi l'appelons-nous Titite?

C'est banal et de mauvais ton,

Dit-on.

A la nommer tout nous invite,

Jeanne, Jeannette ou Jeanneton.


Jeanne Parent est un nom grave

Que ses grand'mères portaient bien,

Et rien

Ne saurait y mettre d'entrave,

Si l'enfant le voulait pour sien.


Jeannette a pour moi plus de charmes,

Ce diminutif est coquet,

Tout prêt

Pour ceux qui lui rendront les armes:

Car elle aura plus d'un attrait.


Jeanneton est un peu rustique;

Son père employera sans façon

Ce nom.

Sa mère aura la Jeanne antique,

Et Jeannette... un joli garçon.





LE JOUR DE L'AN


Gens soucieux, quittez la table;

Créanciers, n'y paraissez pas!

La gaîté franche et véritable

Préside seule à ce repas.

Le verre en mains, que l'an nouveau paraisse;

Souhaitons-le propice à nos désirs.

Coulez, coulez, beaux jours de la jeunesse,

Ne mêlez point la peine à nos plaisirs!


Quand le travail de la journée

S'achève en toutes les saisons,

Que la tâche soit couronnée

Par l'amour, le vin, les chansons!

Est-il un bien qu'ici-bas l'on connaisse

Plus doux au coeur que ces charmants loisirs?

Coulez, coulez, beaux jours de la jeunesse,

Ne mêlez point la peine à nos plaisirs!


Puisque Dieu gouverne le monde,

C'est lui qui règle nos revers:

Comptons sur sa bonté profonde

Dans tous nos changements divers.

Ah! pour jamais bannissons la tristesse

Au bruit roulant des échos du plaisir!

Coulez, coulez, beaux jours de la jeunesse,

Prolongez-vous au loin dans l'avenir!





RONDE POUR UNE FÊTE AUX HUÎTRES

Sur l'air des Conspirateurs de l'opéra: La Fille de Madame Angot, par Lecocq.


Fils de la treille,

L'hiver, l'été,

Un rien réveille

Notre gaîté.

Remplis ton verre,

Bon Canadien,

Et sans mystère

Vide-le bien!


Quand vient l'automne

Lourd et transi,

Le froid nous donne

Grand appétit.

Avec audace

Le fin mangeur

Rencontre en face

Le franc buveur!


Vivent les huîtres

Et les chansons!

Buvez par litres,

Joyeux garçons!

Pour mieux redire

Notre gaîté,

Mettons la lyre

En liberté.


Huître qui bâille

Au picotin

N'est rien qui vaille

Dans un festin.

J'aime la belle

Pinçant le bec.

La plus rebelle,

C'est... la Malpec!




IMPROMPTUS



A UNE DAME FRANÇAISE

EN LUI DONNANT UN EXEMPLAIRE DES «LAURENTIENNES»


Mes verres, que la muse éparpille,
Sont un écho du Saint-Laurent.
S'ils sont canadiens par l'accent,
Ils sont français par la famille.

A ce titre, ils vont droit à vous,
Et, comme l'a dit un poète,
Le cri d'amour que l'on répète,
S'il vient de loin semble plus doux.




A UNE DAME
QUI ME DONNE UNE PAIRE DE PANTOUFLES


Que ne ferait pas l'amitié!
Ces pantoufles vont comme un charme.
En me voyant sur un tel pied,
Mon humilité s'en alarme.

C'est me pousser dans le chemin,
Le chemin de la gloriole,
Que me chausser de votre main,
Comme on ferait pour une idole.

Vous le savez, je suis prudent,
J'aime peu les regards du monde;
Mais à présent, mais à présent,
On va me connaître à la ronde!

Ah! ma femme était du complot!
Elle aussi voudrait me produire.
Gardons le secret--pas un mot;
Les gens pourraient bien en médire.

Ne brillons des pieds qu'au logis,
Ma vanité s'en accommode:
L'amour, l'amitié, puis les ris,
C'est pour nous la dernière mode.




DANS L'ALBUM D'UNE JEUNE FILLE


Vous qui passez, joyeuse et belle,

Par le sentier de vos vingt ans,

Et qui promenez l'étincelle

A travers champs,


Vous pouvez être impitoyable

Pour ceux qu'attire votre esprit;

Rendre la victoire durable

Par un écrit...


Mais non! vous n'êtes pas coquette,

Cela se voit, je le sais bien.

Ce que j'en dis, c'est en poète:

N'en croyez rien.




SUR UN PORTRAIT DE JEUNE FILLE


--Châtaine?--Ni brune ni blonde.
--En tous cas, belle à rendre fou.
Avec ces yeux-là, dans le monde,
On fait des conquêtes partout.





VIVE LE SERVICE! 4


Voilà trente ans bien comptés

Qu'il est au service.

Entonnons à ses côtés

Un chant de malice:

Souhaitons-lui d'y rester

Sans jamais se reposer!

Vive le service,

O gué!

Vive le service!


Baillairgé, frais et gaillard,

Prend la cinquantaine:

Il est l'ornement d'un art

Qui n'est pas sans peine;

Mais il n'a d'autres soucis

Qu'être utile à son pays.

Voilà son service,

O gué!

Voilà son service.


Voulant, bien joyeusement,

Nous donner à boire,

Qu'il reçoive, auparavant,

Le pot de Grégoire.

Le service tout entier

Mériterait d'y passer!

Vive le service,

O gué!

Vive le service!


Il a conquis, pas à pas,

Chacun de ses grades--

Mais il perdra ses compas

Dans nos embrassades!

Du talent, de père en fils,

Les Baillairgés ont le prix.

Ah! les bons services,

O gué!

Ah! les bons services!


Depuis le grand-père Adam

Qui mangea la pomme,

On n'a jamais vu, vraiment,

Un aussi brave homme.

Sous son toit hospitalier

Adam 5 est représenté

Par un gai fils d'Eve,

O gué!

Par un gai fils d'Eve.


Boissonneault, Smith et Rinfret,

Lionnais, Blain et Pagé,

Drapeau, Ricard et Boulet,

Brousseau, Dion, Benoit, Taché,

Dauray, Braun, Adam, Pinard,

Boucher, Sulte avec Bouchard,

Chantent la trentième,

Et Guay 6

Chante la trentième!

Note 4: (retour) En 1874, M. G. F. Baillairgé, ingénieur distingué (aujourd'hui député-ministre des travaux publics), célébrait le trentième anniversaire de son entrée au service civil, lorsqu'on lui apporta un superbe pot en argent--souvenir de ce jour de fête. Les couplets ci-dessus furent composés sous le coup de la surprise, au moment de se mettre à table, et chantés entre deux services.
Note 5: (retour) M. Adam, de Saint-Hyacinthe, présent à la réunion.
Note 6: (retour) M. l'abbé Charles Ouny, prêtre, de Rimouski, aussi présent.




NOCES D'ARGENT 7

AIR: Quand tout renaît à l'espérance.


Quand on a marqué sa carrière
D'une étape de vingt-cinq ans,
Et que l'on retourne en arriére
Pour mesurer les pas du temps,
Il est bon de pouvoir se dire:
«Je n'ai ni remords ni regrets;
«Ma femme a gardé son sourire:
«Gaîment je recommencerais.»

Vive l'amour qui nous console!
Que de bons quarts d'heure il nous vaut...
Mais on m'enlève la parole,
Il se passe ici du nouveau;
Un jeune couple se présente
Que l'exemple à su dominer.
Il est joyeux, aimable, il chante:
«Nous sommes prêts à commencer!»

Ainsi le monde tourne et roule,
Dans vingt-cinq ans les noces d'or!
Vos amis reviendront on foule,
Heureux, vous saluer encore--
Et nos jeunes gens, pleins de flammes,
Sur vos pas ayant su marcher,
Rediront gaîment à leurs femmes:
«Quel plaisir de recommencer!»

Note 7: (retour) Ecrit à table, aux noces d'argent de M. Alexandre Belisle, à Worcester, le 10 juillet 1878.



LE PETIT PORTEUR

AUX ABONNÉS DU «COURRIER D'OUTAOUAIS» 1874


En ce jour de souhaits nombreux,

Laissant chômer la politique,

Je viens à vous le coeur heureux

De la gaîté publique.

Je ne suis encor qu'un enfant,

D'un cadeau je me glorifie--

Petit garçon deviendra grand,

Si Dieu lui prête vie.


Vivons de courage et d'espoir,

Et joyeux comme étaient nos pères!

Et que du matin jusqu'au soir,

Nargue de nos misères!

En bien veillant et travaillant,

L'homme acquiert et se fortifie!

Petit peuple deviendra grand,

Si Dieu lui prête vie.


Le Canada du temps passé

N'était pour la riche Angleterre

Qu'un désert aride et glacé,

Le moindre coin de terre.

Mais le voilà qui prend un rang!

Il a des destins qu'on envie!

Petit pays deviendra grand,

Si Dieu lui prête vie.


Paris ne s'est pas fait d'un jour,

Disait un échevin modèle.

Nous travaillons avec amour

A la ville nouvelle;

Qu'Ottawa toujours grandissant

Montre d'un peuple l'industrie!

Son commerce deviendra grand,

Si Dieu lui prête vie!


Petit Courrier, vaille que vaille,

Lutte pour la cause commune;

Il s'agite, il parle, il travaille

Sans amasser fortune.

Mais qu'importe pour le moment!

En l'avenir il se confie:

Petit COURRIER deviendra grand,

Si Dieu lui prèle vie.





SUR UN LIVRE QUI VIENT DE PARAITRE


Etonnons la postérité:

C'est de nous, cher lecteur, qu'elle doit tout apprendre.

Et, sans pouvoir jamais le vendre,

Brochons un livre chaque été.


Nos amateurs font des merveilles

Du poème épique au couplet;

«C'est de plus en plus fort, comme chez Nicolet.»

Oyez le produit de nos veilles!


En rimes, tout présentement,

J'écris pour vous cette nouvelle.

Vous comprendrez la ritournelle

Quand vous saurez qu'on peut la passer simplement.




L'AIMABLE VOLEUR

M. L'ABBÉ J. B. PRIMEAU, PRÊTRE, WORCESTER.


On vous a pris mes Laurentiennes.

Petit péché; simple malheur.

Ces choses-là sont très-anciennes:

On a toujours pillé les vers. Si vous découvrez le coupable,

N'allez pas crier au voleur--

De l'embrasser je suis capable:

C'est un lecteur!




NOMMEZ-VOUS! 8


Puisque cet homme a «fait sa marque,»

Dans l'avenir il survivra;

Mais, fût-il soldat ou monarque,

Sans son nom, qui le nommera?

Note 8: (retour) Ecrit sur la supplique d'un milicien de 1812 qui avait signé de sa marque, sans mentionner son nom.



BILLET AU RÉDACTEUR D'UN JOURNAL
QUI A PUBLIÉ MON PORTRAIT


Or ça! mon cher, sans badinage,
Je tourne à la célébrité!
Je vais en perdre la gaîté
Et prendre dans mon voisinage
Un air de grandeur affecté.

L'artiste m'a donné des charmes:
Je fais un beau brin de garçon.
Mais, pour un rimeur de chansons,
Je pose en soldat sous les armes...
«Il en faut de chaque façon.»

Puisqu'on deux ou trois paragraphes
Vous m'avez savamment grandi,
Trouvez-moi donc, en bon ami,
Un marché pour mes autographes
Nous partagerons le profit.





AU CORRECTEUR D'ÉPREUVES


Sapristi! ne corrigeons rien!
Plus je corrige, plus je gâte.
Je suis fait d'une telle pâte
Que j'en reste au premier moyen.

En ne retouchant point ma prose
L'imprimeur me remerciera.
Quant à mes vers, jamais je n'ose
Les allonger d'un errata.

Ainsi, vos alarmes sont vaines.
Fumez la pipe là-dessus,
Et pardonnez-moi mes fredaines,
Car je n'y retournerai plus.


TABLE


Aux lecteurs.
Création de l'homme.
Miettes de l'histoire.
Crémazie.
Châteaugay.
Le Vingt-Quatre Juin 1880.
Les fondateurs.
Rallions-nous.
Le Travailleur.
A madame de Saffray.
La cloche.
Notre drapeau.
Le vallon des ruisseaux.
Fort bien.
Restons joyeux.
Son petit nom.
Jour de l'an.
Fête aux huîtres.

IMPROMPTUS

Les Laurentiennes.
Pantoufles.
A une jeune fille.
Sur un portrait.
Vive le service!
Noces d'argent.
Le porteur du journal.
Sur un nouveau livre.
Aimable voleur.
Nommez-vous!
Mon portrait.
Au correcteur d'épreuves.





IMPRIMERIE DU JOURNAL «LE CANADA»
Coin des rues Sussex et Murray.



[Fin de Chants Nouveaux par Benjamin Sulte]