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Titre: L'Organisation militaire du Canada 1636-1648 Auteur: Sulte, Benjamin (1841-1923) Date de la première publication: 1896 Lieu et date de l'édition utilisée comme modèle pour ce livre électronique: Ottawa, John Durie & Son; Toronto, Copp-Clark; Londres, Bernard Quaritch, 1896 Date de la première publication sur Project Gutenberg Canada: 5 novembre 2008 Date de la dernière mise à jour: 5 novembre 2008 Livre électronique de Project Gutenberg Canada no 194 Ce livre électronique a été créé par: Rénald Lévesque, à partir d'images généreusement fournies par la Bibliothèque nationale du Québec DES MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA DEUXIÈME SÉRIE--1896-97 VOL. II SECTION I Littérature française, Histoire, Archéologie, Etc. L'Organisation militaire du Canada 1636-1648 Par M. BENJAMIN SULTE EN VENTE CHEZ JOHN DURIE & SON, OTTAWA; THE COPP-CLARK CO., TORONTO BERNARD QUARITCH, LONDRES 1896 1.--L'organisation militaire du Canada, 1636-1648. Par M. BENJAMIN SULTE. (Lu le 19 mai 1896) Il est généralement entendu que la milice de la colonie, fut organisée en 1665, lorsque le régiment de Carignan arriva pour mettre fin à la guerre des Iroquois; c'est, en effet, à partir de cette date et surtout à compter de 1674-75, que nos forces militaires figurent dans l'histoire écrite. Mais j'ai cru bien faire en recherchant les origines mêmes de cette situation, et en allant prendre le premier soldat, avec le premier fusil, à une époque de trente ans antérieure à la soi-disant, apparition de nos milices. En histoire, les moindres faits ont encore de la valeur. Je lisais l'autre jour dans un grand journal un aperçu de l'état de notre milice actuelle commençant par ces mots: «Avant la Confédération (1867) nous n'avions pas d'organisation militaire». C'était reléguer aux limbes les corps qui ont existé de 1836 à 1866 et même auparavant, car il nous reste au moins deux compagnies datant des premières années du siècle. Si donc on oublie déjà des choses que nos vieillards ont vues, il n'est pas étonnant que les miliciens de 1636 à 1666 soient entièrement, négligés des écrivains. L'histoire des anciennes milices du Canada français peut se retrouver par bribes dans une centaine de volumes, si l'on prend la peine d'en faire l'analyse, mais le lecteur n'a pas cette patience et, de plus, il manque de bibliothèque. Je vais suppléer, dans la mesure de mes moyens, à la pénurie des renseignements. «On le peut, je l'essaie, qu'un plus savant le fasse.» Mes notes ne sont pas riches, le sujet étant pauvre; elles seront, toutefois, assez claires pour servir à retracer le relief des faits notables. Il n'est pas hors de propos d'examiner cette partie de notre histoire, puisque, d'année en année, l'on nous pose la même question; à savoir, quelle était notre situation militaire dans les premiers temps des Français? Réponse ci-dessous: Rendons-nous bien compte d'abord que, de 1608 & 1632, la colonie existait à peine et ne dépassait pas trois ou quatre ménages. Dans ses plus belles années, elle renfermait de 30 à 40 hommes, uniquement employés à la traite des fourrures et aux missions évangéliques parmi les Sauvages. Le 15 août 1635, Champlain, écrivant au cardinal de Richelieu au sujet des besoins de la colonie, demandait cent vingt hommes armés à la légère pour coopérer avec deux ou trois mille Sauvages hurons et algonquins contre les Iroquois, afin d'amener une paix durable sur le cours du Saint-Laurent et des grands lacs.[1] Les Iroquois ne constituaient pas encore la ligue formidable qui leur a valu une si large place dans l'histoire de ce continent. Les Hurons et les Algonquins annonçaient une valeur militaire bien au-dessus de ce que l'on pouvait attendre des Iroquois Aucun des Sauvages de l'Amérique du Nord ne possédait d'armes à feu. Rien non plus des outils que les Européens leur firent connaître plus tard. Toute chose étant donc dans l'état primitif, il était impossible de prévoir que les Iroquois, par suite de leurs aptitudes naturelles, se transformeraient au contact des Hollandais, des Anglais et des Français au point de jouer ici un rôle analogue à celui de la première République romaine en Italie. [Note 1: _Oeuvres de Champlain_, p. 1448.--_Documents relatifs à la Nouvelle-France,_ Québec, 1883, I, 113.] Champlain n'a fait aucune guerre proprement dite. Quelques coups d'arquebuse tirés sur les Iroquois qui lui barraient le chemin, en 1609 et en 1611, et d'autres qu'il alla leur distribuer jusque dans leur pays en 1615, en suivant l'armée huronne dans l'une de ses expéditions, voilà tout ce qu'il fit en ce genre. On sait qu'il n'avait pas un seul soldat avec lui mais seulement trois ou quatre compagnons qui s'employaient à la traite des fourrures et à la découverte de ces vastes contrées. En 1629, le poste de Québec se rendit aux Anglais sans la moindre résistance. Cette occupation étrangère dura trois ans. Lorsque les Iroquois devinrent incommodes par les embuscades qu'ils dressaient sur le fleuve, on éleva un petit fort de bois à Trois-Rivières (1634), gardé par quelques hommes à peine, que la compagnie des Cent-Associés entretenait à ses frais, et qui protégeaient son magasin de traite. Albany, qui se formait alors et qui n'était pas dans des conditions beaucoup meilleures, se décida bientôt à vendre des fusils aux indigènes, ce qui doubla du coup l'audace des Iroquois dans leurs attaques contre les Sauvages amis des Français. Ceci devenait très grave, à cause de nos colons exposés entre deux feux dans ce conflit imprévu, car, depuis 1632, quelques familles du Perche et de la Normandie s'étaient établies autour de Québec et de Trois-Rivières, sur des terres qu'elles cultivaient avec une habileté hors ligne. La perspective de fonder une colonie agricole stable électrisait Champlain, tout accablé qu'il fut alors sous le poids de la maladie qui devait l'emporter. Il sollicitait de l'aide contre le seul ennemi qu'il eût à craindre: l'Iroquois, et en cela, il ne se trompait point, puisque l'assurance de n'être exposée à aucun des maux de la guerre pouvait quintupler rapidement notre population rurale, cette base de la prospérité d'une colonie. Juste en ce moment (1635), la compagnie des Cent-Associés songeait à abandonner le Canada en raison des pertes subies par elle, sur mer et sur terre, pendant les sept dernières années. De plus, Champlain se mourait à Québec. Cette situation difficile se trouva réglée de la manière suivante, durant l'hiver de 1635-1636. Les Cent-Associés devaient rester propriétaires en seigneurie de la Nouvelle-France, et pouvoir continuer d'y faire du commerce et distribuer des terres aux colons, main ne se chargeraient plus d'administrer la colonie, vu que les chevaliers de Malte[2] offraient de faire ce service. Il va sans dire que le coût et l'entretien d'une force armée furent réglés, du moins en principe, comme devant être supportés par les Cent-Associés. Sur cette entente, M. de Montmagny devint gouverneur du Canada, par décision du 15 janvier 1636, ou même un peu avant cette date. [Note 2: Voir _L'Ordre de Malte, en Amérique_, par J.-Edmond Roy, et mes _Pages d'Histoire du Canada_.] Il était possible, au début de la colonie, de donner de la contenance aux habitants par une organisation de milice, et en les couvrant d'une bonne troupe prête à garder les avant-postes, les avenues de l'ennemi, et tenir ce dernier sur l'alerte, de façon à lui rendre le métier de maraudeur assez désagréable pour qu'il l'abandonnât. Mais les Cent-Associés, quasi en état de banqueroute, n'exécutèrent point leur part du contrat; ils n'y songèrent même pas un instant, puisqu'ils cédèrent le droit du commerce de la colonie à un syndicat qui devait virtuellement les remplacer. Le directeur de ce nouveau groupe était Jean Rozée, marchand de Rouen, et Antoine Cheffault de la Regnardière, avocat de Paris, en était secrétaire. Les six autres membres se nommaient Jacques Castillon, bourgeois de Paris, Jacques Berruyer ou Beruhier, seigneur de Manselmont, Jacques Duhamel, marchand de Rouen, le conseiller Fouquet, Jean de Lauzon (qui devint notre gouverneur en 1651) et Noël Juchereau des Chastelets, marchand du Canada, le seul qui résidât dans la colonie.[3] Voilà comment, de 1636 à 1645, la partie la plus active et la plus visible des Cent-Associés fut la compagnie Rozée, Cheffault, des Chastelets, qu'on peut appeler un comité des Cent-Associés. [Note 3: Ferland, _Cours d'Histoire du Canada_, I, 222, 284, 208.--_Mémoire» de la Société royale_, 1882, p. 55; 1883, p. 132-3 _Histoire des Canadiens-Français_, II, 31-3, 45-6, 66-7, 108; III, 28-31.] M Aubert de la Chênaye, marchand de Québec, écrivait en 1676, rappelant ce qui s'était passé de 1632 à 1645: «Ceux de la compagnie des Cent, qui étaient des personnes de dignité et de considération, résidant à Paris, jugèrent à propos de laisser le soin et les avantages du commerce pour le Canada aux marchands de Rouen et de Dieppe, auxquels quelques-uns de ceux de Paris se joignirent. Ils furent chargés de payer les appointements du gouverneur, de lui fournir sa nourriture, d'entretenir les garnisons de Québec et de Trois-Rivières... fournir les choses nécessaires pour la guerre, de se payer sur les produits et de rendre compte du surplus au corps de la compagnie (les Cent) en son bureau à Paris.» Charles-Jacques Huault de Montmagny, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, successeur de Champlain, qui, arrivé le 11 juin 1636,[4] paraît avoir amené des soldats avec lui, puisque, durant l'été de 1636, il fit reconstruire plus en grand le fort de Québec, donna aussi de l'extension à celui de Trois-Rivières, y ajoutant une batterie de canons. Au mois d'août de la même année, le père Paul le Jeune écrivait de Québec: «Nous avons nombre de très honnêtes gentilshommes,[5] nombre de soldats de façon et de résolution; c'est un plaisir de leur voir faire les exercices de la guerre dans la douceur de la paix, de n'entendre le bruit des mousquetades et des canons que par réjouissance; nos grands bois et nos montagnes répondent à ces coups par des échos roulants, comme des tonnerres innocents qui n'ont ni foudres ni éclairs. La diane nous réveille tous les matins; nous voyons poser les sentinelles. Le corps de garde est toujours bien muni; chaque escouade a ses jours de faction; en un mot, notre forteresse de Kébec est gardée dans la paix comme une place d'importance dans l'ardeur de la guerre.»[6] [Note 4: Non pas en septembre, comme il est dit, à la page 249 du tome I des _Documents mr lu Nouvelle-France_, publiés à Québec, 1883.] [Note 5: Voir mes _Pages d'Histoire du Canada_, p. 226. Nous expliquerons plus loin ce que venaient faire en Canada des gentilshommes.] [Note 6: _Relation_ de 1636, p. 12.] Le père le Jeune venait d'apprendre la prise de Corbie (Picardie) par les Espagnols, et savait que Richelieu tremblait pour la sûreté de Paris. On était au milieu de la guerre de trente ans--tout cela explique «les douceurs de la paix... les tonnerres innocents...» qui touchent si vivement le bon missionnaire dans sa résidence de Québec. Le recrutement des colons en France se faisait par les relations que les familles de cultivateurs établies à Québec et à Trois-Rivières entretenaient avec leurs parents de la mère-patrie. Les seigneurs auxquels on avait accordé de vastes espaces de terre dans le but de les peupler, n'étaient ni riches ni susceptibles d'entraîner sur leurs pas un contingent tel que l'exigeaient les circonstances; aussi nous expliquons-nous les lenteurs de cette colonisation, qu'on peut à peine qualifier de développement. Il semble que l'on ne tenait aucun compte du danger des Iroquois dans les réunions des Cent-Associés, à Paris. Pourtant la question vitale était là toute entière. Jusqu'à 1665, on peut affirmer qu'il n'y eut pas de colonie en Canada, mais seulement des comptoirs de traite. L'idée primitive des établissements français en Canada ne comportait, il est vrai, ni guerre ni conquête. Même chose chez les Anglais de la Nouvelle-Angleterre. Nous ne ressemblions pas aux Espagnols qui se jetaient, sur l'Amérique pour tout écraser et tout prendre. Les Anglais voulaient cultiver la terre et fonder des provinces; les Français recherchaient la traite des pelleteries et les mines. De ces deux derniers projets, il résulte que nous ne songions pas à combattra à main armée contre les Sauvages ou les Européens, ni même à cultiver le sol pour donner vie à nos entreprises. La question militaire primait tout, en réalité, mais elle n'était pas comprise. Quelques soldats, utiles au maintien du bon ordre dans deux ou trois postes de traite, ne constituaient aucune garantie de tranquillité pour l'habitant exposé sans cesse aux surprises des assassins, car les Iroquois n'ont fait que la maraude accompagnée d'assassinats, jamais la guerre. Les chaloupes et les brigantins de la compagnie Rozée, Cheffault, etc., qui faisaient le service entre Québec et Trois-Rivières, portaient des petits canons de fonte appelés pierriers et espoirs, ce qui suppose des artilleurs ou des gens aptes à les manoeuvrer. Plusieurs de ces armes se chargeaient par la culasse, au moyen d'une ouverture pratiquée au fond du tonnerre et que l'on refermait après y avoir introduit la gargousse.[7] [Note 7: _Voir mes Mélanges d'Histoire_, 1876, P. 300-372.] La petite colonie de Québec n'était pas sans inquiétude concernant cette situation; les quelques habitants de Trois-Rivières non plus. Sous prétexte de «tuer l'Algonquin», les Iroquois rôdaient continuellement à nos portes et commettaient des déprédations, parfois des meurtres; connaissant notre faiblesse, ils nous bravaient avec insolence. Leurs bandes se tenaient à l'affût dans les bois, sur les rivières, l'hiver comme l'été, puis, aussitôt que l'une d'elles avait fait un coup, les quinze ou vingt hommes qui la composaient retournaient à leur village pour célébrer, au milieu de réjouissances bruyantes, les exploits de cette course. Ceux que l'on rencontrait ainsi le plus souvent autour de nous, portaient le nom d'Agniers (Mohawks) dans la fédération iroquoise; plus tard, les autres tribus, situées plus au sud, côté est du lac Ontario, reçurent de nous la désignation d'Iroquois qui, véritablement, appartient à l'ensemble de leurs groupes. Les Agniers, ayant leur habitat prés des sources de la rivière Chambly, descendaient au lac Saint-Pierre et ravageaient les campements des Algonquins côté nord du fleuve, sur une étendue de territoire qui embrasse à présent toute la longueur de la province de Québec. Henri IV, Louis XIII, leurs ministres, Sully et Richelieu, de 1608 à 1640, n'ont pas accordé la moindre attention aux Français qui trafiquaient sur le Saint-Laurent. Le souverain n'était pas obligé de défendre la Nouvelle-France; c'était le devoir de la compagnie des Cent-Associés; mais en cela, comme dans tout le reste, ces seigneurs indifférents négligeaient de remplir leurs obligations. Le roi leur disait: «Payez-moi redevance pour le privilège de la traite; quant au reste, dépêtrez-vous comme vous le pourrez.» De 1641 à 1661, avec Mazarin, ce fut la même chose. Colbert, de 1662 à 1670, nous envoya des troupes; après leur départ, Frontenac, en 1673, organisa la milice. Nous étions en paix alors. Il arriva quatre ou cinq compagnies régulières en 1684-1685, à cause de la nouvelle guerre des Iroquois. De 1673 à 1760, nos forts étaient occupés par des petits détachements aux gages du ministre de la marine et des colonies: on les appelait, à cause de cela «troupes de la marine», bien qu'ils ne fussent pas des marins. Le Canada français n'a jamais possédé qu'un fantôme d'armée.[8] [Note 8: En 1637 on trouve lu mention d'un soldat appelé Jolicoeur, de la garnison de Québec. Tel est bien le nom du troupier français, nom de guerre, va sans dire; on connaît de tout temps Bellepointe, Laparade, Sansfaçon, Bellehumeur, Lecocq, Lamoureux, Vadeboncoeur, Belavance, Lafleur, Bienvenu, Portelance.] _Miles_ en latin, _soldat_ en français, sont les termes que les registres employent pour désigner nos plus anciens militaires. Cela signifie qu'ils étaient de la profession des armes, à la solde des Cent-Associés, et commandés par le gouverneur: ne les confondons pas avec les troupes royales, dont les premières ne vinrent ici qu'en 1662. Et que faisaient les chevaliers de Malte en 1636-1638? Rien. Leurs projets concernant le Canada et l'Acadie se trouvaient, dissipés, abandonnés; M. de Montmagny occupait la même position précaire qu'avait eue Champlain, dépendant de quelques traiteurs de pelleteries, assez mal inspirés envers les colons du Canada. Les ursulines et les hospitalières, arrivées à Québec en 1639, avaient fait connaître à leurs amis de France l'état de la colonie. Une association évangélique se forma pour établir un poste à Montréal; mais ni le roi, ni les Cent-Associés n'y prirent la moindre part. M. de Maisonneuve, qui commandait l'expédition, débarqua à Québec, l'automne de 1641, avec quarante-cinq hommes et quatre femmes.[9] Cette recrue n'avait rien de militaire; elle n'était pas non plus adonnée aux travaux des champs, de sorte qu'un renfort si mal choisi et si mal posté ne pouvait que faire naître des embarras nouveaux. En 1640, la population française de la colonie s'élevait à 360 âmes, y compris une quarantaine d'hommes, missionnaires et employés de la traite, qui se trouvaient fréquemment éloignés de Québec et de Trois-Rivières. La population stable, les vrais «habitants», selon le mot dès lors adopté, comptait 274 âmes réparties de la manière suivante:[10] Hommes mariés nés en France.............................. 64 Femmes mariées nées en France............................ 61 « « « en Canada............................ 3 Veuf né en France........................................ 1 Veuves nées en France.................................... 4 Hommes non mariés nés en France.......................... 35 Jeunes garçons nés en France............................. 28 " " en Canada............................. 30 Jeunes tilles nées en France............................. 24 " " en Canada............................. 24 ___ 274 [Note 9: Faillon, _Histoire de la Colonie_, I, 414, 418, 420.--Belmont, _Histoire du Canada_, p. 2.--Dollier, _Histoire du Montréal_, 20,40.] [Note 10: Pour plus de détails, voir mon _Histoire des Canadiens-Français_, II, 91-2, 146.] Près des deux tiers de ces personnes, soit 155, venaient du nord du royaume: Perche, 68; Normandie, 62; Paris, 10; Picardie, 8; Beauce, 7. Chacune d'elles recrutait des colons dans ces pays, sans l'aide des seigneurs. M. Dollier de Casson, qui arriva dans la colonie vingt-cinq ans plus tard, dit que, à la tin de l'année 1641, «le pays ne contenait pas plus de deux cents Européens, y renfermant les deux sexes, comme aussi les religieux et religieuses». Ce chiffre est évidemment beaucoup trop faible, puisque le recensement que j'ai dressé porte trois cent soixante noms, et il faut bien croire que je n'ai pas énuméré toute cette population sans omettre un seul individu. Une quarantaine d'hommes que M. de Maisonneuve amenait en 1641, tous recrutés du côté droit de l'embouchure de la Loire, venaient s'ajouter à ce nombre restreint. «Les affaires de la foi sont traversées aux Trois-Rivières, où les Iroquois font une guerre mortelle à nos Sauvages, comme aussi à ceux qui sont au-delà jusqu'aux Hurons. «S'ils osaient, ils viendraient jusqu'à Québec, mais il n'y ferait pas bon pour eux, c'est pourquoi ils s'en éloignent. Dans un combat qu'ils ont livré proche des Trois-Rivières, Monsieur notre Gouverneur et nos Français ont donné dessus, les ont défaits et chassés. Dans cette déroute, néanmoins, ils ont pris quantité de Hurons, d'Algonquins et d'Algonquines. Ces derniers, voulant se venger, sont allés furtivement en leur pays, sont entrés dans leurs cabanes, ont tué plusieurs femmes et enfants et ont pris la fuite. Mais les autres, s'en étant aperçus, les ont poursuivis et en ont pris cinq qui sont peut-être déjà mangés, car on ne sait ce qu'ils sont devenus. Enfin, tous les Sauvages des Trois-Rivières ont quitté; plusieurs sont allés en leur pays et les autres se sont réfugiés à Québec. Tous nos nouveaux chrétiens (Sauvages) ont beaucoup souffert de la part des Iroquois, qui leur ont déclaré la guerre, comme aussi à nos Français.»[11] [Note 11: Marie de l'Incarnation, _Lettres_, du 14 et du 16 septembre 1641.] Il n'est pas possible que cette situation déplorable n'ait pas été connue des Cent-Associés, des personnes charitables qui s'occupaient du Canada, et de la cour même. Richelieu avait en ce moment huit corps d'armée luttant contre les Espagnols et les Allemands. C'était plus de cent cinquante mille hommes, que la Vallette, Turenne et Condé façonnaient de manière à en faire les premiers soldats du monde. Il n'y en avait pas pour nous; on les destinait à l'accroissement de la puissance française en Europe. À partir de 1640, même dès 1637, nous eûmes les Iroquois sur les bras. C'était une guerre d'embuscades, de surprises, une suite d'assassinats que nous aurions vite arrêtés en allant brûler les villages de nos agresseurs; mais nous ne pouvions mettre aucune troupe en campagne. Chaque habitant devint son propre défenseur. «Le gouverneur se voyait témoin passif de la lutte des Sauvages, exposé souvent à leurs insultes, sans pouvoir faire respecter son drapeau, qu'ils venaient braver jusque sous le canon des forts.»[12] [Note 12: Garneau, _Histoire du Canada_, 1882, I, 132.] Il a été dit un mot ci-dessus du projet de fonder une colonie dans l'île de Montréal. «Pourquoi la compagnie des Cent-Associés s'est-elle empressée de concéder cette île (à des particuliers) dès 1635?... L'île n'avait, en 1635, que peu de valeur comme station commerciale, et elle en avait encore moins au point de vue stratégique... Une garnison et des canons à Montréal n'auraient en rien gêné les courses des Iroquois, qui venaient s'embusquer sur l'Outaouais, ou qui descendaient le Richelieu pour se rendre dans le lac Saint-Pierre. Il est inutile d'insister sur ce point, peut-être plus évident alors qu'aujourd'hui... L'_Histoire de la Colonie française_ (Faillon) t. I, p. 400, fait dire à l'auteur des _Véritables Motifs... de la Société de Montréal:_ «Ainsi Dieu... semble avoir choisi cette île agréable et utile non seulement pour la _conservation_ de Québec, mais encore pour y assembler un peuple.»[13] Et il part de là pour affirmer (t. I, p. 379) que les Associés de Montréal se proposaient de bâtir une ville fortifiée qui pût être tout à la fois _un rempart contre les incursions des Iroquois_ et une _sauvegarde_ assurée pour la colonie chancelante de Québec».[14] Si telles avaient été les intentions--un peu ambitieuses, il faut l'avouer--des _Messieurs et Dames_, ces intentions n'auraient pas été justifiées par les événements. Mais la phrase, telle que citée, n'existe pas dans le texte: on a mis _conversation_ là où il y a _subsistance_. En rétablissant le texte, toute la théorie s'écroule. De plus, la Société des Messieurs de Montréal, ne donne nullement à entendre, dans son mémoire, qu'elle eût l'intention de bâtir une ville à Montréal. Elle ne se proposait que d'y réunir les Sauvages pour les instruire, comme nous le lisons dans les articles soumis par la nouvelle société à la grande compagnie (les Cent-Associés)».[15] [Note 13: Voici le texte des _Véritables Motifs_, imprimés à Paris en 1643: «Ainsi Dieu grand amateur du salut des hommes qui n'a pas seulement la science des temps: mais des lieux commodes au bien de ses créatures semble avoir choisi cette situation agréable de Montréal, non seulement pour la subsistance de Québec dont elle dépend, mais propre pour y assembler un peuple composé de Français et de Sauvages qui seront convertis pour les rendre sédentaires....»] [Note 14: M. Faillon dit tout, cela sans sourciller, et il indique, comme fond de renseignements, le passage des _Motifs_ qui vient d'être mis sous nos yeux.] [Note 15: M. l'abbé Verreau, _Mémoires de la Société royale du Canada_, 1887, p. 149.] Il est facile de voir, par la liste des premiers colons de Montréal,[16] que l'élément militaire n'y comptait pour rien et, par conséquent, les quarante-cinq hommes aventurés à soixante lieues de Québec aggravaient, par les dangers qu'ils allaient courir, la situation déjà si précaire des habitants du Canada. [Note 16: _Les Véritables Motifs_, réimprimés par la Société historique de Montréal, 1880, p. 76--Article de M. l'abbé Verreau, _Mémoires de la Société royale du Canada_ 1882, p. 99.] Pendant que M. de Maisonneuve se rendait au Canada (1641), Mme la duchesse d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, se chargea d'expliquer à celui-ci la situation véritable des établissements de Québec et des Trois-Rivières. «Ce qui lui succéda (réussit) si heureusement qu'elle obtint un puissant secoure contre nos ennemis», raconte le père Barthélémy Vimont. La nouvelle en parvint à Québec vers l'automne 1641, et M. de Montmagny» fit aussitôt disposer la charpente d'une maison, devant même que les vaisseaux qui devaient apporter les ouvriers eussent paru, se doutant bien que, si on attendait leur venue, ils ne pourraient loger durant l'hiver au lieu où l'on désire poser les fortifications.... La joie que les Français et les Sauvages ont senti à la venue de ce secours n'est pas concevable. La crainte qu'on avait des Iroquois avait tellement abattu les coeurs qu'on ne vivait que dans les appréhensions de la mort; mais sitôt que la nouvelle fut venue que l'on allait dresser des fortifications sur les avenues des Iroquois, toute crainte cessa, chacun reprit courage et commença à marcher tête levée avec autant d'assurance que si le fort eût déjà été bâti.»[17] [Note 17: _Relation_ de 1642, page 2.] Le fort dont il est question ici devait être élevé bientôt à l'endroit appelé Sorel à présent, et non pas, comme le texte le ferait croire, à Québec ou à Trois-Rivières, ou à Montréal. Le secours promis n'était d'ailleurs ni imposant ni durable. Tout ce qu'on pouvait espérer se limitait à la construction d'un fort au-dessus de Trois-Rivières, de même que, en 1634, on avait établi le fort de Trois-Rivières au-dessus de Québec, pour aller au devant des canots de traite du Haut-Canada. Au mois de mai 1642, M. de Maisonneuve partit de Québec, où il avait hiverné avec son monde, pour commencer l'établissement de Montréal. Les Iroquois ne connurent l'existence de ce poste que l'année suivante. M. de Montmagny se rendait compte de la nécessité d'un fort sur le lac Saint-Pierre pour gêner les courses de ces maraudeurs, qui descendaient de leur pays par la rivière Richelieu (dite aussi des Iroquois), et surprenaient nos canots de traite dans les îles du lac Saint-Pierre. Un poste d'observation, d'où l'on pourrait lancer des patrouilles, devenait indispensable. La clef de toutes les communications sur le fleuve se trouvait au lac et non pas à Montréal. En juin ou juillet 1642, il dut arriver de France une ou deux compagnies de soldats, puisque le projet du fort Richelieu fut exécuté au mois d'août de cette année. Répétons toujours que ces soldats ne sortaient point en droite ligne des régiments de France, mais avaient peut-être servi dans quelques corps avant que de s'enrôler pour le Canada. Les Cent-Associés, Richelieu, Anne d'Autriche, affectant quelques sommes d'argent pour la force armée de la colonie, ne nous envoyaient aucun corps régulier, selon que certaines personnes ont voulu le croire, mais seulement le moyen de recruter des hommes pour le service militaire. En 1642, les vaisseaux de France arrivèrent à Québec «plus tôt qu'à l'ordinaire, n'ayant été que deux mois à leur voyage».[18] [Note 18: Marie de l'Incarnation, _Lettres_, 20 septembre 1642.] Les nouveaux soldats s'étant reposés à Québec, M. de Montmagny les fit avancer d'abord jusqu'à Trois-Rivières, où un vent contraire retint ses trois barques avec un brigantin et une centaine d'hommes armés, durant les derniers jours de juillet. Le 2 août, douze canots de Hurons, avec des missionnaires, partirent seuls de Trois-Rivières, mais les Iroquois les enlevèrent dans les îles du lac Saint-Pierre. Le gouverneur n'arriva avec sa troupe que le 13 août à la rivière Richelieu (ou des Iroquois, à présent rivière Chambly). Sans perdre de temps, le fort Richelieu fut commencé.[19] [Note 19: Voir _Relation_ de 1642, pages 44, 50.] Le père Vimont écrivait cette année: «Ces fortifications ne tranchent point le mal par la racine; les barbares font la guerre à la manière des Scythes et des Parthes; la porte ne sera point pleinement ouverte à Jésus-Christ, et les dangers ne s'éloigneront point de notre colonie, jusqu'à ce qu'on ait ou gagné ou exterminé les Iroquois». Telle était la vérité: on ne la comprit qu'après un quart de siècle de dévastations, d'horreurs et de souffrances inouïes. Ce fut la gloire de Colbert de mettre fin à ces maux. D'après un manuscrit de la bibliothèque du Louvre, le père F. Martin[20] écrit cette note se rapportant à 1642: «La force armée de la colonie était alors de quinze soldats formant la garnison de Québec, et coûtait au trésor 12,180 livres. Trois-Rivières en avait soixante-dix, et Montréal autant.» Il est bien certain que «autant» se rapporte à Québec. En tout, cela formait cent hommes, savoir: 15 à Québec, 15 à Montréal, 70 à Trois-Rivières. Ce dernier poste était, par sa situation géographique et par la principale traite du pays, qui s'y faisait, tout désigné d'avance aux attaques de l'ennemi; de là le surcroît de troupes qu'on y entretenait. Nulle tentative de culture n'y était possible hors de la portée des armes à feu du poste et de la surveillance des patrouilles. Jusqu'à 1641, il me paraît évident que, la garnison de Trois-Rivières ne dépassait pas quinze ou vingt hommes, mais le renfort, arrivé en 1642 avait permis d'augmenter cette garnison. Comme le manuscrit cité plus haut ne parle pas du fort Richelieu, cela signifie que Trois-Rivières fournissait le nombre de soldats employés dans ce lieu. Les quinze soldats entretenus à Montréal aux frais du trésor, montreraient que Louis XIII s'était décidé à faire quelque chose pour le nouvel établissement. Au taux de 12,180 francs pour quinze soldats, la force armée du Canada étant composée de cent hommes, devait coûter 81,200 francs par année, soit 65,000 dollars de notre argent, puisque l'argent valait alors quatre fois plus qu'aujourd'hui. [Note 20: _Le R. P. Jogues_, 1873, p. 129.] La palissade de Montréal étant achevée, on y plaça du canon le 19 mars 1643. Il pouvait y avoir alors 40 personnes dans le fort ainsi complété. Le 27 mai, M. de Montmagny chargea le soldat Pierre Caumont dit la Roche, de la garnison de Québec, de partir avec la barque _Louise_, équipée de cinq matelots et montée par quatre soldats, de faire une patrouille active entre Trois-Rivières et le lac Saint-Pierre, mais son service eût été bien plus efficace sur le lac même. Le 12 juin, quarante Iroquois mirent pied à terre à la Pointe-du-Lac, sans être aperçus par la Roche. Une autre bande allait et venait sur le lac, capturant les canots de traite. On disait que sept cents Iroquois étaient on marche pour tout saccager dans la colonie. Le gouverneur général partit de Québec conduisant quatre chaloupes, fit une battue entre Trois-Rivières et le fort Richelieu, sans avoir rencontré un ennemi rusé et agile, dont la tactique consistait à ne point se montrer. Le 15 août, un bâtiment fut aperçu à Québec portant des secoure destinés à Montréal. Le principal personnage qui le montait se nommait Louis d'Ailleboust de Coulonges. C'est alors, probablement, que l'on apprit la mort du cardinal de Richelieu, survenue le 4 décembre 1642, et, peut-être aussi, celle du roi Louis XIII, arrivée le 14 mai 1643. Bientôt après, l'on sut que le duc d'Enghien (Condé) avait anéanti la fleur des troupes espagnoles à Rocroi. A la fin d'août, M. de Montmagny escorta jusqu'à Montréal M. d'Ailleboust et les trente ou quarante personnes qu'il amenait. Les iroquois venaient de découvrir l'établissement des Français; M. d'Ailleboust fit ses calculs pour on augmenter les fortifications et, dès l'année suivante, il exécutait ce plan. La reine Anne d'Autriche étant devenue régente du royaume, on s'adressa à elle pour obtenir de nouveaux renforts. Elle accorda 100,000 francs pour l'entretien d'une compagnie de soixante soldats levés en France, l'hiver de 1643-1644. Au printemps de 1644, les Iroquois lancèrent dix bandes de guerriers sur le fleuve. Le danger des embuscades était continuel, A Trois-Rivières et à Montréal, toute sortie se faisait dans l'ordre militaire, avec mille précautions. Comme la flottille huronne devait retourner dans le Haut-Canada, il fut jugé convenable de munir les Sauvages qui la composaient d'armes à feu, pour le cas où ils seraient attaqués en route. Ces Hurons avaient passé l'hiver à Trois-Rivières. Le père Bressani s'embarqua avec eux le 27 avril; le 29, par le travers des rivières Machiche, ils furent surpris et amenés prisonniers, à part quelques-uns assommés sur place ou qui échappèrent. Durant l'été, il arriva de France «nombre de gens, partie desquels était une compagnie de soixante soldats qui sont distribués dans différents postes». Le capitaine se nommait la Barre. Les 100,000 francs ci-dessus mentionnés paraissent avoir été confiés au baron de Renty, tout dévoué à la compagnie de Montréal, et qui fut un certain temps directeur de cette compagnie. La reine avait donné pour Montréal deux petites pièces de fonte abandonnées depuis longtemps dans les rues de la Rochelle. Au mois d'août, M. de Montmagny allant à Trois-Rivières tenir une assemblée de toutes les nations, y compris les Iroquois, se fit accompagner d'un détachement de soldats dont la vue impressionna vivement ces peuples, et, quelques jours après, lorsque la flottille huronne et les missionnaires partirent pour le Haut-Canada, vingt-deux militaires leur servirent d'escorte. La perspective d'une paix générale que faisaient entrevoir les Iroquois, avait été imaginée par eux afin de gagner du temps et s'assurer, pardessus tout, si la France allait continuer ses envois de troupes, auquel cas il valait mieux pour ces barbares se tenir tranquilles et nouer des relations amicales avec les Français. Des changements se préparaient, d'autre part, dans l'administration de la colonie. Faute d'avoir vu exécuter les projets militaires et autres conçus on 1635-1636 pour le bien général, nous étions restés sans aide, ce que les Iroquois avaient fini par comprendre. Nous devenions la proie de ces avides destructeurs. Une idée de réformes germa dans la tête de quelques Français; mais, comme cela arrive bien souvent, il y avait en dessous un désir de s'emparer du pouvoir et de contrôler les affaires commerciales du pays. Nous entrons ici dans une nouvelle période. Six ou sept familles d'un certain rang, mais pauvres, sollicitèrent M. de Montmagny de s'entendre avec elles pour exploiter le commerce du Canada. Le gouverneur avait toujours refusé la proposition, mais en 1644, voyant le peu d'espoir d'être secouru de quelque façon que ce fût par les Cent-Associés, et renonçant à quêter encore les secours du roi, il se déclara favorable à un arrangement par lequel les gens du pays auraient la gérance de leur» propres affaires. Hélas! M. de Montmagny, qui ne comptait sur aucun bénéfice personnel, se trouva cependant trompé, car les gentilshommes jouèrent les «habitants» et le gouverneur. Je ne vois que dans un seul auteur, tout récent, l'explication de ce qui se passa à cet égard de 1644 à 1648. Aussi vais-je en faire le sujet de cette seconde partie de mon étude. La défense de la colonie s'y trouve intéressée au premier chef. «Le groupe des gentilshommes québecquois, mécontents de l'administration des marchands, expulsa ces derniers, grâce à l'appui de l'État, et s'empara des revenus de la traite pour en disposer à son profit. Cela se passait dans l'automne de 1644 et au commencement de 1645. Or, précisément à cette époque, les chefs de la colonie de Montréal commençaient à ressentir les premières atteintes de la faim; ils ne recevaient plus de renforts de France, et, ils durent être tentés de prêter main-forte à ceux qui montaient à l'assaut du trésor public. Le firent-ils? Leur historien nous le donne à entendre, sans le dire formellement.[21] Il est probable que les jésuites, de leur côté, se mêlèrent de cette affaire: le _Journal_, page 3, dit que la traite fut cédée aux habitants _agente regina et nobis impellentibus._»[22] [Note 21: Voir Faillon, _Colonie, française_, I, 473.] [Note 22: Léon Gérin, dans _La Science sociale_, Paris, 1801, p. 502.] Notons, en passant, la marche de notre diplomatie envers les Iroquois. Au commencement de juillet 1645, M. de Saneterre, commandant au fort Richelieu, reçut la visite de quelques-uns de ces Sauvages qui venaient proposer la paix entre toutes les nations. Le 12 juillet, avec le plus de pompe possible, M. de Montmagny ouvrait, sur le platon de Trois-Rivières, des conférences qui durèrent deux ou trois jours et qui mirent d'accord les «hautes parties contractantes», selon le langage d'aujourd'hui. Depuis la convention de 1624, tenue au même lieu, on n'en avait pas vue d'aussi importante dans le pays. En septembre, autre réunion pour ratifier le traité solennel; il y avait plus de quatre cents Sauvages, y compris les Hurons qui venaient à la traite. Les soldats jouaient un rôle marquant dans les diverses cérémonies de ces deux congrès, qui nous sont racontées en détail par les écrivains du temps. Cette année si remarquable le devint encore davantage par l'abandon que firent les Cent-Associés d'une partie de leur commerce entre les mains d'une compagnie dite des Habitants. Les causes déjà signalées qui amenèrent ce changement se rattachent en bonne partie à la situation militaire du Canada; c'est pourquoi il convient d'en dire un mot. Le pays comptait de cent vingt à cent vingt-sept colons, mais sur ce nombre il n'en était venu que dix-neuf ou vingt durant les années 1641-1644, à cause de la guerre des Iroquois. La population blanche de toute la colonie ne devait pas dépasser 500 âmes. Il y avait bien vingt-cinq seigneuries de concédées sur le papier, mais quatre ou cinq à peine commençaient à recevoir des colons. Beauport en avait une vingtaine. Par l'entente du 6 mars 1645, la compagnie dite des Habitants obtenait la liberté du commerce pour son compte, sans remplacer toutefois l'ancienne organisation des Cent-Associés; mais en retour du privilège qui leur était octroyé, les Habitants devaient entretenir le gouverneur général, ses officiers, les soldats des forts et habitations, les nourrir, les solder, payer leurs appointements, réparer les forts «ainsi que les Cent-Associés ont fait ci-devant», et tenir au moins cent hommes dans les garnisons. Les canons, boulets, armes, munitions de guerre actuellement dans les forts et appartenant à l'ancienne compagnie seront utilisés par les Habitants qui devront les remplacer à fur et à mesure de leur consommation, sauf les pièces d'artillerie envoyées par M. de Lauzon, avec qui les Habitants devront s'entendre à ce sujet. Les négociations, de la part des Habitants, avaient été conduites, à Paris, au mois de janvier 1645, par Pierre le Gardeur de Repentigny et Jean-Paul Godefroy, à titre de délégués du Canada, comme ils se qualifiaient.[23] M. de Lauzon était avec eux _contra_ Rozée et Cie. [Note 23: _Correspondance des gouverneurs_, 2e série, volume I, p. 152, Bibliothèque fédérale, Ottawa.--_Edits et Ordonnances_, I, 28.--Faillon, _Histoire de la Colonie_, I, 402.] Avant d'aller plus loin, disons qu'il y avait dans le pays deux classes d'habitants. La plus nombreuse se composait de gens établis comme colons, par conséquent tout à fait distincts des commerçants, des employés de la traite, fonctionnaires, gentilshommes sans fortune, hommes de professions libérales, matelots, soldats, missionnaires. Ils étaient essentiellement attachés au sol; e'est pourquoi ils se qualifiaient entre eux d'habitants. L'autre classe se recrutait parmi les gentilshommes, les commerçants, les fonctionnaires qui viennent d'être mentionnés, lesquels passaient, aux yeux des Français de France, pour des «habitants du Canada», puisque, effectivement, ils habitaient ce pays. Le mot comporte donc ici double sens, ce qui fait qu'il a souvent prêté à la confusion, et il faut se garder de confondre l'habitant avec le gentilhomme. La compagnie dite des Habitants, assez, correctement nommée par opposition à celle des Cent-Associés, qui était composée de gens résidant en France, ne renfermait, cependant aucun habitant dans le sens local du mot. Elle était formée de six ou sept familles qui ne voulaient pas cultiver la terre, préférant exercer des fonctions publiques et jouer ici le rôle si peu digne de la noblesse française, ruinée, vivant des faveurs du roi, accapareuse et fière. Ce n'est pas avec un pareil élément que l'on fait prospérer une colonie. La suite le prouva douloureusement, comme on sait. En première ligne de cette dernière catégorie d'habitants, venaient les personnages suivants, qui furent les premiers seigneurs du Canada sur le papier: Pierre le Gardeur de Repentigny, arrivé de Normandie en 1636 avec sa femme et ses enfants, s'occupait du commerce uniquement. Il se fit accorder en 1647 les fiefs Cournoyer et Repentigny, mais n'eut pas le temps d'y travailler, car il mourut l'année suivante, dans l'un de ses voyages en France. Charles le Gardeur de Tilly, frère du premier, qu'il secondait dans ses opérations sur terre et, sur mer. Jacques Leneuf de la Poterie, beau-frère des précédents, arrivé avec eux, se fit donner le fief de Portneuf, où il avait un établissement en 1645. Il prit des terres à Trois-Rivières, peu après; néanmoins sa principale occupation paraît avoir été la traite des fourrures. Michel Leneuf du Hérisson, frère de Jacques, était veuf, avait une fille qui épousa Jean Godefroy, et tous trois vécurent à Trois-Rivières. Jean-Paul Godefroy ne lit toujours que du commerce. Il épousa, en 1646, une fille de Pierre le Gardeur de Repentigny. René Robineau de Bécancour, arrivé de Paris vers 1644, sinon quelques années auparavant, était aussi un négociant. En 1647, il se fit accorder la seigneurie de Bécancour, mais la garda en forêt. Vers 1650, il épousa une fille de Jacques Leneuf de la Poterie, laquelle lui apporta le fief de Portneuf, où il fixa plus tard sa résidence. François de Chavigny sieur de Berchereau, arrivé en 1640, avec sa femme Éléonore de Grandmaison, possédait le titre du fief de Chavigny (Deschambault en partie). Il ne colonisa guère, si toutefois il tenta aucun défrichement. C'est lui qui suppléait M. de Montmagny durant ses absences de Québec. Je crois qu'il appartenait à la famille de Chavigny, fort en faveur auprès de la cour en 1640. Il mourut dans un voyage en France, vers 1652. Jean Juchereau de Maure de la Beauce, arrivé en 1634, avec sa femme et ses enfants, avait un moulin à Québec, et faisait le commerce. Son frère, Noël Juchereau des Chastelets, licencié en droit, venu en 1632, sinon avant, ne se maria point; il avait reçu des terres qui devinrent en partie la propriété de Jean, lorsqu'il mourut, en France, au cours de son voyage de 1647.[24] Entre 1632 et 1644 il paraît avoir été associé des Cent-Associés ou de la compagnie Rozée, Cheffault, ce qui revient au même. En 1645, il fut nommé commis général de la compagnie des Habitants. Il légua son fief Saint-Michel à Charles le Gardeur de Tilly, marié en 1648 à sa nièce, Geneviève Juchereau. [Note 24: _Journal_ des jésuites, p. 128.] Olivier le Tardif, très probablement de la Normandie, était interprète à Québec en 1621, sous-commis en 1626, interprète des Cent-Associés en 1633; il épousa, 1637, Louise Couillard, et, avec son beau-frère, Jean Nicolet, aussi interprète, posséda la terre des plaines d'Abraham, où est à présent _Spencer Grange_, résidence de notre collègue. J.-M. Lemoine. En 1641, M. Jean de Bé, sieur de Gand, commis général, étant décédé, le Tardif le remplaça. Il paraît avoir été au service de la compagnie Rozée, Cheffault, et être allé on France dans les intérêts de ces derniers, l'automne de 1645; nous en reparlerons. En 1648, il épousa Barbe Aymart en secondes noces. Nous le retrouvons en 1650 procureur de la compagnie Rozée. Il mourut en 1665. Il fut peut-être celui qui lutta le plus contre la compagnie des Habitants, dont les le Gardeur, les Leneuf et les Juchereau étaient les chefs, ainsi que Godefroy, Robineau et Chavigny. Guillaume Tronquet, secrétaire de M. de Montmagny, était à Québec en cette qualité, l'automne de 1638 et jusqu'à 1646, où il retourna en France. En 1644-1646, il fit des actes comme notaire. Il était intéressé dans la traite des pelleteries, puisque, on 1645, avec Repentigny et Giffard, il prit part aux démarches dirigées contre les Cent-Associés. Ce qui est curieux c'est que, rendu en France, l'hiver de 1646-47, il se décida à y rester, bien qu'il eût récemment obtenu une terre sur le chemin du Cap-Bouge; on suppose qu'il comprit que M. de Montmagny, son protecteur, allait être rappelé.[25] [Note 25: _Journal_ des jésuites, pp. 20, 47, 08.--J.-Edmond Roy, _Le Canada-français_, 1890, p. 720.--B. Sulte, _Histoire des Canadiens-Français_, II, 82; III, 6,--Ferland, _Notes sur les Registres_, p. 65.] Jean Bourdon, ingénieur, arpenteur, navigateur, commerçant, procureur, arrivé en 1634, obtint plusieurs concessions de terre qu'il ne défricha point. Il vécut dans les fonctions indiquées ci-haut. Ce qui paraît certain c'est que, jusqu'à 1648, il fut d'accord avec M. de Montmagny, et que, par la suite, il combattit les Cent-Associés. Fonctionnaire public toute sa vie, homme d'action, il a figuré trente ans dans les affaires du pays. Le docteur Robert Giffard, venu du Perche avant 1627, fut le plus marquant de nos seigneurs colonisateurs, par son fief de Beauport. Il ne laissait pas de s'occuper du trafic en général. En 1645, sa fille Françoise épousa Jean, fils de Jean Juchereau, ci-dessus nommé. Ainsi, de 1627 à 1635, les Cent-Associés avaient fait de pauvres affaires; de 1636 à 1644, ils étaient représentés par la combinaison Rozée, Cheffault, etc., et, de 1645 à 1663, il y eut en sus la coalition des gentilshommes du Canada appelée compagnie des Habitants. Le nouvel état de chose, en ce qui concerne le commerce, fut proclamé à Trois Rivières, au mois d'août 1645, et à Québec, le 26 novembre suivant. Il était expressément stipulé que la compagnie dite des Habitants supporterait le coût des garnisons et des choses militaires; mais elle ne fit pas mieux que les Cent-Associés. Les vingt-deux soldats partis en 1644 pour la contrée des Hurons, revinrent en septembre 1645, rapportant, pour leur compte personnel, la valeur de 30,000 à 40,000 francs de peaux de castor, «sur quoi, dit le _Journal_ des jésuites, y ayant eu dispute entre les habitants[26], mis nouvellement en possession de la traite, et messieurs de la compagnie générale (les Cent-Associés), ils s'accordèrent d'employer le provenu à bâtir une église et presbytère». D'après la convention nouvellement promulguée, les soldats devaient livrer le quart de leurs pelleteries aux Habitants, lesquels recevaient ainsi le revenu des droits, parce qu'ils se chargeaient des frais d'administration de la colonie. Le _Journal_ dit que les soldats versèrent 6,000 francs. Il ajoute que la nourriture, le logement et les soins donnés à ces vingt-deux hommes par les jésuites valaient bien 200 francs par tête, soit 4,400 francs, mais qu'on ne leur accorda que 30 écus par tête ou 1,980 francs. [Note 26: Lisons: les gentilshommes.] Nous n'avons pas à régler cette dispute. La nécessité d'avoir des soldats en nombre efficace pour assurer la tranquillité des colons, et augmenter aussi par là les bénéfices du commerce, était comprise de tout le monde, depuis plus de dix ans, mais les Cent-Associés et leurs agents de Dieppe et de Rouen, faute d'esprit d'entreprise, n'y avaient rien vu dans le passé et, maintenant que le commerce allait à des gens sans ressources, il ne fallait pas espérer voir faire à ceux-ci des dépenses d'argent un peu élevées. Les vrais habitants ne pouvaient commercer qu'avec la compagnie. Il y a apparence que le capitaine de la Barre avait séjourné quelque temps à Montréal, car M. Dollier dit que M. de Maisonneuve, obligé de faire un voyage en France (octobre 1645), «ne voulut point partir sans renvoyer auparavant le sieur de la Barre, qu'il avait reconnu pour n'avoir rien de saint que son chapelet et sa mine trompeuse». M. de Belmont dit: «M. de la Barre, grand hypocrite». L'historien Faillon (II. 30,87) nous édifie également sur le compte du personnage. M. de Maisonneuve eut la douleur de perdre son père, et aussitôt il repassa en France pour régler ses intérêts domestiques.[27] [Note 27: Faillon, _Histoire de la Colonie française_, II, 37.] L'automne de 1645, le fort de Richelieu fut presque abandonné; il n'y resta plus que huit ou dix soldats, sous les ordres de Jacques Babelin dit la Crapaudière; les pères Dendemare et Dupéron en partirent vers la fin de septembre avec le capitaine Saneterre. Les missionnaires de Trois-Rivières se chargeaient de visiter cette petite garnison durant l'hiver. En février 1646, le père de Moue périt de misère sur la glace du fleuve, au coure de l'une de ces missions. Voici un certain nombre de petits faits isolés qui se rattachent à notre sujet, et que j'ai réunis en un seul passage, afin de ne pas couper à tout moment le fil du récit: Pierre Boucher, revenant du pays des Hurons, en 1641, s'engage soldat dans la garnison de Québec; il était âgé de dix-neuf ans. Il appartenait encore à la garnison de Québec lorsque, ou 1645, il fut envoyé, en qualité de soldat et d'interprète, à Trois-Rivières, où il devait passer vingt ans de sa vie et illustrer son nom dans les armes. Le 5 octobre 1642, au registre de Trois-Rivières, on voit les noms des soldats Sevestre, Desvittets, Joli, Laharpinière, parrains de Sauvages. En 1644, 1645, Martin Duclos, soldat, figure au registre des baptêmes de Trois-Rivières. Le 24 octobre, les navires partant pour la France avec 30,000 livres pesant de castor, on les salua de plusieurs coups de canons. A la messe de Noël 1645, écrit le père J. Lalemant, «monsieur le gouverneur avait donné ordre de tirer à l'élévation plusieurs coups de canon, lorsque notre frère, le sacristain, en donnerait le signal, mais il s'en oublia, et ainsi on ne tira point». Autre détail: «Un nommé Dubok, soldat empirique, fut invité d'aller voir les malades de Sillery, pour trois ou quatre jours. Il fut logé chez nous sans en rien communiquer au supérieur (_et hoc male_) et y demeura depuis le 20, ou environ, de novembre jusqu'au 22 janvier 1646. La chose ne réussit pas. _Invisus barbaris et gallis._»[28] [Note 28: _Journal_ des jésuites.] L'année 1646 est celle où je rencontre le plus souvent des mentions de soldats. «Le 1er janvier, on salua monsieur le gouverneur, savoir: la soldatesque avec leur arquebuse, item les habitants en corps.» Même chose à Montréal. Au mois de mars, la veille de la Saint-Joseph, on alluma un feu de joie et «les soldats firent trois salves et quatre coups de canon furent tirés; il y eut aussi quelques fusées». Le samedi saint, à Québec, on tire, au moment du Gloria, plusieurs coups de canon. Le père Jérôme Lalemant écrit en mai que «deux hommes des Ursulines de Québec s'étaient appelés et provoqués, et s'étaient allés battre avec leurs épées, ce qu'avaient aussi fait deux soldats aux Trois-Rivières, la Groye et la Fontaine, pendant que nous y étions. La Groye fut blessé en deux endroits pour s'être comporté sagement et chrétiennement, ce qui ayant été vérifié par les Sauvages, la Fontaine fut mis on une fosse.» Le 31 mai, la Fête-Dieu, à Québec, fut chômée avec pompe. Il y eut mousquetades, fusillades et canonnades. Le même jour, à Montréal, il y eut canonnade et salves de mousqueterie. Le 18 juin, à Québec, se maria Antoine Martin dit Montpellier, soldat et cordonnier, avec Denise Sevestre. «On dansa une espèce de ballet, savoir: cinq soldats», note le _Journal_ des jésuites. Au même lieu, le canon gronda pendant la célébration de la Saint-Jean-Baptiste. En juillet, je vois à Trois-Rivières, Marin Terrier de Francheville sieur de Repentigny, soldat, lequel devint colon et fut tué, six ans plus tard, dans un combat contre les Iroquois; sa veuve épousa Maurice Poulain, qui a donné son nom à la rivière Saint-Maurice. Le 7 décembre, à Québec, veille de l'Immaculée-Conception, «à midi, on tira du fort un coup de canon à bale.» Le lendemain, un soldat nommé de Champigny, natif de Fontainebleau, fit abjuration du protestantisme et, comme il savait la musique, on l'incorpora au choeur. Durant la messe de Noël, le canon retentit à plus d'une reprise. L'année 1646 étant une période de calme, M. d'Ailleboust on profita pour achever les fortifications de Montréal, «et réduisit le fort à quatre bastions réguliers, si bien construits et si solides qu'on n'avait encore rien vu de semblable au Canada».[29] [Note 29: Faillon, _Histoire de la Colonie_, II, 56.] Les fortifications du lac Saint-Pierre étaient abandonnées: «Au commencement de l'hiver 1646-1647 les Iroquois brûlèrent le fort de Richelieu qu'on avait laissé sans monde, disant par raillerie que ce n'était pas par mal, mais qu'il n'était fait que de gros bois, ce qu'ils firent à dessein de le piller sans en pouvoir être accusés. Le mois de mars (1647) venu, ils levèrent le masque tout de bon et commencèrent l'exécution du pernicieux dessein qui les avait portés à faire la paix (en 1645).»[30] «Les Iroquois brûlent le Richelieu, tuent les Algonquins et Hurons qui voulaient trahir les Français, les attirant hors du fort.»[31] Ceci n'est pas très clair. Je crois comprendre que le fort avait été confié à la garde de certains Algonquins et Hurons, lesquels donnèrent à entendre aux Iroquois qu'ils se joindraient à eux pour le piller, mais que les Iroquois les massacrèrent par surprise, firent main basse sur le contenu du fort, puis incendièrent celui-ci pour faire croire à un accident ordinaire. Au mois de juin suivant, la barque de Jean Bourdon retourna à Québec, venant de «Richelieu et de Montréal; elle remporta de Richelieu les canons encloués».[32] [Note 30: Dollier de Casson, _Histoire du Montréal_, édition de 1868, p. 62.] [Note 31: L'abbé de Belmont, _Histoire du Canada_, p. 5. Ce fait est erronément placé en 1647 par l'auteur, qui n'arriva dans le pays que trente-quatre ans plus tard.] [Note 32: _Journal_ des jésuites, p. 90.] M. de Montmagny était homme à mettre la colonie en sûreté, si l'argent ne lui eut pas fait défaut. Son plan d'action était tout préparé, malheureusement on ne lui fournit jamais les moyens de se montrer à l'oeuvre. Tant de coteries se disputaient le pouvoir administratif et les avantagea du commerce des fourrures, qu'aujourd'hui depuis plus de deux siècles, le Canada n'a point vu encore de plus lamentables tiraillements politiques. En 1646, la traite de Trois-Rivières eut lieu le 15 septembre; M. de Montmagny et le père Jérôme Lalemant, qui s'y étaient rendus, en repartirent le 22 pour Québec. Le père raconte que «en revenant à Québec nous rencontrâmes au cap à l'Arbre[33] une chaloupe qui portait le père Daran, qui nous apporta les nouvelles de l'arrivée de M. de Maisonneuve et de M. de Repentigny[34] et des autres navires de France, qui étaient proches; ce fut le 20 qu'arriva M. de Maisonneuve et le 23 arriva M. de Repentigny, et nous aussi quelques heures auparavant[35].» Le roi avait confié un vaisseau à M. de Repentigny.[36] [Note 33: Le cap à la Roche à présent.] [Note 34: _Journal_ des jésuites, p. 65.] [Note 35: A trois jours de distance l'un de l'autre. Voir Faillon, II, 55.] [Note 36: _Correspondance des gouverneurs_, 2e série, page 169.] On allait donc connaître le résultat des négociations que M. de Repentigny et autres poursuivaient auprès de la cour, c'est-à-dire la reine Anne d'Autriche et le cardinal Mazarin, premier ministre. Louis XIV avait, alors sept ans. «Le 14 octobre, arriva la barque qui était le dernier de tous les vaisseaux qu'on attendait de France, et ce même vaisseau apporta les nouvelles de l'arrivée à Tadoussac de M. le Tardif, arrêté en France par M. de Repentigny[37], lequel M. le Tardif ne fut que quarante-quatre jours en chemin et arriva à Québec le 17.» [Note 37: A mon sens, M. de Repentigny, chef de la Société dite des Habitants, aurait fait retarder en France son rival, Olivier le Tardif, commis de Rozée, Cheffault et Cie, ce qui revient à dire les Cent-Associés.] «Tout le mois d'octobre se traitèrent les affaires. M. de Repentigny fut continué amiral......» Ceux qui, comme Maisonneuve et d'Ailleboust, dans l'intérêt de Montréal, et, dans une certaine mesure, M. de Montmagny, représentant les Cent-Associés, étaient opposés au transport de la traite en faveur de la compagnie dite des Habitants, «fomentaient des désordres, ou en ne faisant rien.... laissaient tout aller.... C'est ce qui donna lieu de dresser les mémoires pour un bon règlement. Nous présentâmes requête pour avoir augmentation de ce qu'on nous donnait. On donna douze cents francs à chacune des trois maisons, Québec, Trois-Rivières et Hurons, mais aussi on se déchargea du chauffage et nous demeurâmes obligés de nous en fournir nous-mêmes. Mais ensuite aussi tous ceux du Conseil se firent puissamment augmenter leurs gages et récompenser de leurs services, ce qui apporta une telle confusion que cela fit honte, et M. de Maisonneuve n'ayant point, voulu signer, rien ne fut signé de ces gratifications-là. «Le dernier jour d'octobre partiront les vaisseaux; le père Quentin y était seul des nôtres. Avec lui repassa M. de Maisonneuve, M. Giffard, M. Tronquet, et tous avec une bonne résolution de poursuivre quelque règlement pour leurs affaires, chacun prétendant ses intérêts particuliers. Il semblait y devoir avoir crise à cause du retardement de M. le Tardif. En même temps aussi repassa le vaisseau qui avait apporté M. le Tardif, et un nommé Lavallée repassa qui était venu avec M. le Tardif. Avec eux repassèrent le fils de M. de Repentigny, de M. Couillard, de M. Giffard, les neveux de M. des Chastelets; tous fripons pour la plupart qui avaient fait mille pièces à l'autre voyage, et on donnait à tous de grands appointements.»[38] Ce dernier trait nous montre que les employés de la compagnie des Habitants étaient les fils des principaux intéressés dans cette organisation. «Le second départ de M. de Maisonneuve pour la France fut causé par une lettre de M, de la Doversière, qui lui manda dans un navire lequel partit après lui qu'il revint incontinent, parce que son beau-frère avait été assassiné depuis son départ et que sa mère avait conçu un dessein ruineux pour des secondes noces, et que ces deux choses enveloppaient tant d'affaires qu'il fallait absolument qu'il remontât en mer. Voyant cette lettre qui l'obligeait une seconde fois de s'en aller, il n'osa aller au Montréal... C'est pourquoi il alla cacher son chagrin au plus vite dans le fond d'un vaisseau.»[39] A quelque chose malheur est bon. Sous le coup d'une alerte causée par les difficultés de famille, M. de Maisonneuve reprenait brusquement le chemin de la France, et cette démarche coïncidait avec celle de plusieurs personnes du Canada qui allaient plaider au Louvre diverses causes se rapportant toutes à un même et unique objet: la conduite des affaires de la colonie. M. de Maisonneuve, survenant à point, eut sa part du résultat. «Des fourrures portées aux magasins des syndics de la traite, une partie devait servir à constituer un fonds public. Lorsqu'on en vint à statuer sur la répartition de ce fonds public, Montréal fit en sorte de ne pas être oublié. C'est à Paris, dans le cours de l'hiver 1646-47, que ce premier état fut dressé; or, le dernier jour d'octobre 1646, nous voyons quatre personnages s'embarquer pour la France, «tous avec bonne résolution de poursuivre quelque règlement pour leurs affaires»: c'étaient Maisonneuve, Giffard (un des conseillers), Tronquet[40] (secrétaire du gouverneur général), enfin le père Quentin de la Compagnie de Jésus. On voit donc bien les divers intérêts en présence: le gouverneur de Villemarie, les gentilshommes du Conseil de la colonie, le gouverneur général, les pères jésuites. [Note 38: _Journal_ des jésuites, pp. 67-68,] [Note 39: Dollier de Casson, _Histoire du Montréal_, p. 60-61.] [Note 40: Il pensait revenir, mais il changea d'avis et demeura en France.] «Maisonneuve ne fut certainement pas le moins habile ou le moins heureux des quatre, car le règlement qu'ils apportèrent en 1647 accordait 25,000 livres d'appointements au gouverneur général, 10.000 au gouverneur de Villemarie, 5,000 au supérieur des jésuites; établissait un conseil composé de ces trois personnages et, enfin, ignorait complètement les anciens conseillers.»[41] [Note 41: Léon Gérin, dans _La Science sociale_, Paris, 1891, p. 563.] Le 6 novembre, une barque fit naufrage au cap à la Roche, vis-à-vis Portneuf, et neuf hommes furent noyés, dont deux soldats: Jacques Arenaine ou Aveleine et Jacques Clèque ou Clique dit Lafontaine, tous deux de Tours, dit Tanguay, de Rouen, dit le _Journal_ des jésuites.[42] [Note 42: _A travers les Registres_, p. 28.--_Journal_ des Jésuites, p. 72.--_Revue canadienne_, 1874, p. 898.--Mes _Pages d'Histoire_, 64, 211, 257, 272.] Avant que de commencer l'année 1647, introduisons dans cette page une série de menus faits, comme ceux de 1646, afin de ne rien oublier, puisque la présente étude se compose de bribes dont la grande Histoire ne saurait que faire, bien que la curiosité du lecteur ne les repousse aucunement. Ces détails sont tirés du _Journal_ des jésuites, 1647, et ont tous rapport à Québec. La veille de la fête de saint Joseph, patron du pays, «on tira un coup de canon à une heure, et le jour de la fête, à l'_angélus_ du matin, quatre ou cinq coups de canon». Le 30 juillet, veille de la Saint-Ignace, à midi, un coup de canon au fort, et le 31, trois coups à l'_angélus_ du matin. Le 2 décembre, fête de saint François-Xavier, «on tira, le matin, trois coups du fort». Le 7 décembre, veille de la Conception, un coup de canon à une heure après-midi et cinq le matin suivant. A Noël, le fort tire cinq coups de canon. Au printemps de 1647, les Iroquois levèrent la hache et, jusqu'à 1664, tinrent le Bas-Canada dans la terreur que leurs excès inspiraient même aux plus braves habitants. «Cette année et la suivante, les guerres des Iroquois furent plus furieuses que jamais; ces barbares devenaient, de jour en jour, plus audacieux et superbes pour les continuelles victoires qu'ils remportaient dans le pays des Hurons qu'ils ont depuis entièrement détruits... Les Hurons, quoiqu'en grand nombre, étant, quant à eux, épouvantés par les tourments, se rendaient tous aux Iroquois; ceux qui en étaient pris tenaient à grande faveur qu'il leur fut permis d'entrer dans leur parti, afin d'éviter une mort cruelle quand même ils auraient dû sortir à mi-rôtis du milieu des supplices.»[43] [Note 43: Dollier de Casson, _Histoire du Montréal_, p. 65.] Puisque les Iroquois, en 1644, voyant arriver de France un certain nombre de soldats, avaient manifesté le désir de cesser les hostilités, et que les nouveaux arrangements de 1645, au sujet du commerce et de la défense de la colonie, les déterminaient à conclure une paix solennelle, il nous faut les suivre dans cette politique et comprendre que ces ruses diplomates, s'apercevant du désarroi de notre administration en 1647, aussi bien que de l'insuffisance de nos troupes, connaissant d'ailleurs que la guerre civile menaçait Paris, n'hésitèrent point à retourner aux armes. Ceci eut lieu au printemps de 1647, alors que la cour réglait, comme il a été dit ci-dessus par M. Gérin, la direction de la compagnie des Habitants. Un syndic nommé par Québec, un par Trois-Rivières et un par Montréal, avec M. Pierre de Repentigny, obtenaient voix délibératives dans le conseil du gouverneur général. Les syndics d'habitations, dit Garneau, étaient des officiers municipaux élus pour conserver les droits de la communauté et intérêts publics.[44] En d'autres termes, ils furent nos premiers députés auprès du gouvernement de la colonie. On appelait «habitation» un groupe comme Trois-Rivières, Montréal; naturellement, les cultivateurs répandus au cap Bouge et à Beauport formaient partie de l'habitation de Québec. Le 22 mai 1647, M. de Montmagny et le père Jérôme Lalemant, supérieur des jésuites, partirent de Québec avec trois chaloupes. Deux jours après, au moment d'arriver à Trois-Rivières, ils rencontrèrent Jacques Babelin dit la Crapaudière,[45] qui leur donna avis de certains mauvais coups des Iroquois,[46] Dans les derniers jours de mai, le père Pijart, étant à Trois-Rivières, profita de la barque de Jean Bourdon, qui montait à Richelieu et à Montréal avec trente personnes, pour se rendre lui-même dans ce dernier lieu. La barque fut suivie, une semaine plus tard, par une chaloupe montée de soldats, qui portait la nouvelle de l'intention des Iroquois d'attaquer Montréal.[47] Le 4 juin, le gouverneur général et le supérieur des jésuites se remettaient en route de Trois-Rivières à Québec. M. de Montmagny avait, projeté de former un camp volant, dont les soldats, espèce de milice volontaire, tiendraient la campagne et poursuivraient l'ennemi dans le voisinage des habitations, mais les ressources pécuniaires lui ayant fait défaut, son successeur exécuta ce plan au printemps de 1648. M. de Maisonneuve et les «intéressés» qui étaient allés à Paris faire réajuster le mécanisme de la compagnie des Habitants paraissent être revenus à Québec en août-septembre 1647; nous n'avons aucune date précise sur ce point. Le règlement qu'ils avaient obtenu fut promulgué le 11 août et mis aussitôt en opération.[48] [Note 44: _Histoire du Canada_, 1882, I, 179, 185, 201, 227; II, 166.] [Note 45: Le même qui avait, commandé la petite garnison du fort Richelieu pendant l'hiver de 1645-1646, et qui est cité comme parrain au registre de Trois Rivières, le 9 février 1647, au baptême de Marie Nadaxineke, algonquine.] [Note 46: _Journal_ des jésuites, p. 86.] [Note 47: _Journal_ des jésuites, p. 87.] [Note 48: Ferland, _Cours d'Histoire du Canada_, I, 358.] «En 1647, M. de Maisonneuve revint, ayant trouvé son beau-frère assassiné et sa mère remariée. Il pouvait être gouverneur du Canada, mais il fit donner le gouvernement à M. D'Ailleboust et le lit repasser en France.»[49] «Lorsque M. de Maisonneuve revint de France, en 1647, il avertit M. d'Ailleboust, son lieutenant, de se préparer à faire le même voyage, en ajoutant qu'il reviendrait en Canada comme gouverneur général, on remplacement de M. de Montmagny. Dans l'automne de cette année, 1647, ils descendirent l'un et l'autre à Québec, pour les affaires générales du pays, et le 16 octobre M. de Maisonneuve étant reparti de Québec pour Villemarie, M. d'Ailleboust fit voile pour la France le 21 du même mois.»[50] «Aussitôt que M. de Maisonneuve fut venu, il avertit M. D'Ailleboust qu'en France l'on voulait rappeler M. le chevalier de Montmagny, dont la mémoire est encore en grande vénération; de plus, il lui dit qu'il serait nommé au gouvernement du Canada, et qu'il fallait qu'il s'en allât en France, et que l'année suivante il reviendrait pourvu de sa commission. Ce bon gentilhomme avertit M. D'Ailleboust de ces choses, mais il était trop humble pour lui dire qu'on lui avait offert à lui-même d'être gouverneur du pays et qu'il l'avait refusé par une sagesse qui sera mieux reconnue on l'autre monde qu'en celui-ci.»[51] Vers le 18 octobre, dit le _Journal_ des jésuites, M. de Maisonneuve part de Québec pour Montréal. Il ajoute, sous la date du 21 de ce mois: «Partit la flotte où étaient général M. d'Ailleboust, le Père Vimont et le Père Quentin avec lui, et le Père de Defretat dans la _Notre-Dame_ avec M. le Tardif. _Item_ M. Nicolet (prêtre) et M. le Prieur dans d'autres vaisseaux.» Ainsi, en 1645, 1646, 1647, trois modes ou variétés d'administration avaient été imposés à la colonie sans donner satisfaction à tout le monde. Un quatrième changement se préparait. Dans tout cela, le militaire s'était vu négligé, faute du nerf de la guerre. Depuis 1644 je ne vois aucune trace d'arrivages de soldats. Le règlement de 1647 porte que la compagnie des Habitants continuera l'entretien de trente hommes armés à Montréal,[52] ce qui donne à croire que pareille garnison y existait déjà. Toutefois, le désaccord régnant parmi les «intéressés» des diverses nuances qui se disputaient le pouvoir enraya toute démarche effective. En somme, Villemarie, commencée en 1641 sur un ton indépendant, en était venue à vouloir prendre part au budget de la colonie en général, et, satisfaite de s'être vue à peu près laissée dans l'ombre ou 1645 et 1646, d'avoir gagné beaucoup de terrain en 1647, aspirait à prendre la part du lion en 1648. [Note 49: Belmont, _Histoire du Canada_, p. 5.] [Note 50: Faillon, _Histoire de la Colonie française_, II, 86.] [Note 51: Dollier de Casson, _Histoire du Montréal_, p. 63-64.] [Note 52: Ferland, _Cours_, I, 858,--Faillon, _Histoire_, II, 87.] «Le premier moment d'enthousiasme (1641) avait produit une souscription de 75,000 livres pour établir la colonie de Montréal; dès l'année suivante, elle ne fut plus que de 40.000 livres, et il est probable qu'elle fut encore moindre dans les années subséquentes. En tous cas, il est certain que, dès 1647-48, les défections étaient assez nombreuses dans les rangs des associés pour inspirer à M. de Maisonneuve et à Mlle Mance de sérieuses inquiétudes. On avait persuadé aux associés de la compagnie de Montréal (en France) qu'il serait plus méritoire d'envoyer leurs largesses aux missions du Levant, et il n'en avait pas fallu davantage pour les éloigner de l'oeuvre de Montréal.»[53] La guerre des Iroquois, avec ses horreurs, compliquait encore cette situation. L'automne de 1647, «ce fut un coup du ciel que le retour de M. de Maisonneuve, car l'effroi était si grand dans toute l'étendue du Canada, qu'il eût gelé les coeurs par l'excès de la crainte, surtout dans un poste aussi avancé qu'était celui de Montréal, s'il n'eût été réchauffé par la confiance que chacun avait en lui; il assurait toujours les siens dans les accidents de la guerre et il imprimait de la crainte à nos ennemis au milieu de leurs victoires, ce qui était bien merveilleux dans un petit poste comme celui-ci.»[54] Occupons-nous maintenant d'une erreur qui a pris droit de cité dans nos livres d'après quelques lignes de Charlevoix, qui se lisent comme suit: «En 1647,[55] M. le chevalier de Montmagny reçut ordre de remettre son gouvernement à M. d'Ailleboust qui commandait depuis quelque temps aux Trois-Rivières, et de repasser en France..... M. d'Ailleboust était un homme de bien, rempli de religion et de bonne volonté. Il avait été de la Société de Montréal, toute composée de personnes pieuses et zélées pour la conversion des infidèles; il avait commandé dans cette île pendant un voyage que M. de Maisonneuve avait été obligé de faire en France, de là, il était passé au gouvernement des Trois-Rivières.»[56] [Note 53: Léon Gérin, dans _La Science sociale_, 1891, p. 560.] [Note 54: Dollier de Casson, _Histoire du Montréal_, p. 65.] [Note 55: La date est 1648.] [Note 56: _Histoire de la Nouvelle-France_, Paris, 1744, I, 281-282.] Le lecteur a vu de suite une partie de la confusion qui règne dans ces deux passages; nous allons examiner le reste. Non seulement M. d'Ailleboust ne quitta point Montréal depuis l'été de 1643 jusqu'il l'automne de 1648, mais il restait membre de la société de ce nom, et fut, constamment du parti que le gouverneur regardait avec raison comme un surcroît d'embarras pour la colonie. Il est donc impossible que M. de Montmagny ait songé à confier le poste de Trois-Rivières à un tel homme, car c'est aux frais du gouverneur général qu'était entretenu son lieutenant à Trois-Rivières. Jacques Leneuf de la Poterie, beau-frère des deux le Gardeur, est mentionné aux registres et aux greffes de Trois-Rivières comme gouverneur de ce lieu, du 17 novembre 1645 au 2 septembre 1648. Le 4 décembre de cette dernière année, Charles le Gardeur de Tilly le remplaça. M. d'Ailleboust[57] Venant (automne de 1648) à prendre les rênes de l'administration, comment se fait-il qu'il ait désigné Tilly pour succéder à la Poterie, tous deux du cercle dont il triomphait presque complètement? C'est que le gouverneur particulier de Trois-Rivières ne relevait plus du gouverneur général depuis quelques mois. Par conséquent ce n'est pas lui qui l'a nommé. Nous verrons tout à l'heure les changements apportés dans l'administration de la colonie durant l'année 1648. C'est en 1647 que M. de Montmagny plaça une croix de Malte sculptée dans la pierre du mur d'une construction assez humble qu'il érigeait à côté du château Saint-Louis ou fort de Québec. Que n'a-t-on pas écrit sur les motifs qui ont dû le porter à cet acte, bien inoffensif après tout! J'y vois une seule chose digne de remarque: la croyance que ce gouverneur entendait rester à son poste un certain temps encore, alors que, à son insu, déjà son rappel était décidé à Paris. Mais en effet, quel prétexte fit-on valoir pour lui retirer son commandement? Il ne fut pas disgracié, on le sait. On usa d'une raison de cour, enveloppée de ces formes que le vulgaire rend par un euphémisme: dorer la pilule. Charlevoix la donne, absolument comme s'il ne soupçonnait rien de plus, et nous lui avons tous fait écho: «Le rappel de M. de Montmagny causa quelque surprise; il provenait d'une décision générale que venait de prendre la cour. Le commandeur de Poincy[58], gouverneur des îles françaises d'Amérique, avait refusé de remettre le gouvernement à son successeur, et s'était maintenu dans sa charge contre l'ordre du roi. Cette espèce de rébellion avait eu des imitateurs. Pour arrêter le mal, le conseil avait décidé que les gouverneurs seraient changés tous les trois ans, et c'est en conséquence de cette résolution que M. de Montmagny était mis à la retraite.»[59] «On crut devoir prendre des mesures pour empêcher que pareil exemple ne fût suivi dans les autres colonies. Il aurait été bien désirable qu'une exception eût pu être faite en faveur de M. de Montmagny.»[60] [Note 57: M Jacques Viger a le premier signalé le fait que M. d'Ailleboust n'avait pas été gouverneur de Trois-Rivières. Voir Dollier, _Histoire du Montréal_, p. 68.] [Note 58: De l'ordre de Malte et parent de M. de Montmagny.] [Note 59: Garneau, _Histoire du Canada_, I, 140.] [Note 60: Ferland, _Cours d'Histoire du Canada_, 1,362.] «Vu que de Montmagny fut remplacé par d'Ailleboust, une des créatures de Maisonneuve, il n'y a pas de doute que le fondateur de Montréal dut invoquer l'exemple de Poincy pour forcer le rappel de Montmagny.» L'abbé Faillon assure que M. de Maisonneuve exerça son influence à la cour et obtint le rappel du gouverneur général. «A son retour en France, de Montmagny fut nommé par l'ordre de Malte, receveur du grand prieuré de France, et fut le premier à qui s'adressa le grand-maître Lascaris pour aller porter secoure à de Poincy. Ces faits indiquent que le gouverneur rappelé, dévoué à Malte, jouissait dans son ordre d'un certain prestige.»[61] Quant à la règle des trois ans, elle ne fut jamais mise en pratique que pour d'Ailleboust, et M. de Lauzon, pour son compte, de 1651 à 1657, en doubla la limite. «En 1648, les Iroquois saccagent le pays des Hurons qui se firent Iroquois et grossirent leur parti. Ils viennent à Montréal, font mille trahisons, demandent à parler de paix. On fit un moulin, un fort. Ils ne tuèrent qu'un seul homme, en blessèrent beaucoup.[62] Tout le Haut-Canada fut abandonné par les Hurons et, les Français; les Algonquins de la rivière des Algonquins (l'Ottawa) disparurent en 1650. Ces derniers n'étaient guère au-delà de 3,000 âmes, mais les Hurons en comptaient bien 10,000 et les Iroquois autant. La pénible situation des affaires de la colonie n'était point un mystère pour ceux qui attaquaient ainsi nos alliés, et ces alliés eux-mêmes n'étaient ni en état de se défendre chez eux ni de nous prêter main-forte en se repliant sur le Bas-Canada. Le 5 mars 1648, un arrêt du conseil du roi régla le gouvernement du Canada,[63] Cette fois, la «constitution,» sous le nom de _Conseil de Québec_, était destinée à vivre quinze ou seize ans, contrairement il celles de 1645, 1646, 1647, qui n'avaient pas duré six mois chacune. «On sait que les gentilshommes s'insurgèrent contre le règlement de 1647 qui leur enlevait leur gagne-pain, et entreprirent de le faire révoquer. Alors, ce même automne (1647) il y eut une nouvelle délégation des représentants des diverses classes. Les gentilshommes remportèrent cette fois (1648) une grande victoire; trois des leurs furent nommés au Conseil; les appointements du gouverneur général furent réduits de 25,000 livres à 10,000; on démembra son autorité en rendant le gouverneur des Trois-Rivières[64] indépendant avec un salaire fixe de 3,000 livres. «Mais Villemarie--aussi bien que les jésuites--sut maintenir sa position. Il est vrai que les appointements de son gouverneur furent réduits de 10,000 francs à 3,000, mais voyez comme elle sut bien compenser cette perte: elle fit nommer comme gouverneur général, en remplacement de M. de Montmagny, Louis d'Ailleboust, le bras droit de Maisonneuve, et il fut entendu qu'à l'expiration de sa charge, le gouverneur siégerait au Conseil. Ce poste élevé allait lui permettre de secourir puissamment la colonie de Montréal.»[65] [Note 61: J. Edmond Roy, _L'Ordre de Malte en Amérique_, pp. 40, 41, 42.] [Note 62: Belmont, _Histoire du Canada_, p. 5.] [Note 63: Voir Faillon, II, 93-5.] [Note 64: M. de Montmagny avait été tenu de maintenir à ses frais un lieutenant-gouverneur à Trois-Rivières. (Faillon, _Histoire de la Colonie_, II, 88.)] [Note 65: Léon Gérin, dans _La Science sociale_, 1891, p. 563.] La garnison du gouverneur général était réduite à douze soldats; celles des gouverneurs de Trois-Rivières et de Montréal à six soldats chacune. Une partie des 19,000 livres de dépenses supprimées par cet arrêt, devait être employée à former, sans délai, un camp volant de quarante soldats, qui seraient tirés des garnisons déjà existantes, si l'on y trouvait ce nombre d'hommes disponibles, ou, dans l'autre cas, seraient levés le plus tôt qu'il se pourrait. L'été, ce camp aurait à garder les passages par eau et par terre, sous la conduite d'une personne désignée par le gouverneur général; l'hiver, les hommes seraient répartis dans les garnisons, pour aller de là battre la campagne et courir le pays. Le reste de la somme d'argent ci-dessus irait à l'achat des armes, des munitions de guerre et au soulagement des Sauvages. En outre, le roi promettait d'envoyer tous les ans au pays des Hurons une compagnie composée de ceux des habitants qui auraient le désir d'y aller à leurs frais pour servir d'escorte tant aux Hurons venus à la traite, qu'aux missionnaires, qui ne pouvaient plus s'y rendre sans ce secours; et pour donner à la compagnie de volontaires le moyen de subsister, on leur permettait le négoce des pelleteries durant le voyage, à la charge de les rapporter aux magasins de la compagnie des Habitants, pour le prix qui aurait été fixé par le Conseil de Québec.[66] Quelques-uns des volontaires en question firent un voyage en Haut-Canada avant l'anéantissement des missions huronnes; on le verra plus loin. Cette année 1648, «M. D'Ailleboust apprit à M. de Maisonneuve qu'il apportait une ordonnance de la Grande Compagnie (les Cent-Associés) laquelle croissoit la garnison du Montréal de six soldats et que, au lieu de 3,000 livres que l'on avoit donné jusqu'alors de gages pour lui et ses soldats, il auroit à l'avenir 4,000 livres. Messieurs de la Grande Compagnie voulant en cela reconnoître les bons et agréables services que le pays recevoit du Montréal, sous son digne gouverneur,»[67] «En 1648, on augmente la garnison de Montréal de six soldats, et les appointements, qui n'étaient que de 3,000 livres, sont augmentés de mille francs. Il se fit une grande compagnie des Indes qui détruisit celle de Montréal.»[68] [Note 66: Faillon, II, 93-5.] [Note 67: Dollier de Casson, p. 60.] [Note 68: Belmont, _Histoire du Canada_, p. 5.] Ceci nous rappelle que les Cent-Associés n'avaient pas été abolis; ils restaient seigneurs du Canada; la compagnie des Habitants leur enlevait seulement une portion du privilège de commerce et se faisait fort, en retour, de supporter certaines charges publiques, telles que les dépenses militaires, etc. Le révérend père Martin, dans sa _Vie du Père Jogues_, note (p. 129) que l'arrêt du 5 mars 1648 ordonna l'envoi de France de trente hommes et un capitaine pour le pays des Hurons, ce qui formerait, dit-il, un total de cent trente soldats pour toute la colonie. Je ne sais trop si ces chiffres sont exacts, parce que le père Martin, dans la même note, a l'air de compter les cent cinq hommes de 1642 comme s'ils existaient toujours en 1648, et cela n'est guère probable. «Les changements que nous énumérons ici, quoique tous dans l'intérêt public, ne furent pas cependant goûtés par quelques particuliers, qui devaient sans doute en recevoir du dommage, en se voyant déçus de leurs prétentionss. Quelques-uns de ces derniers, qui allaient retourner en Canada sur les vaisseaux de la Hotte, en prirent même occasion de se montrer ouvertement opposés à M. d'Ailleboust; et il semble que M. de Repentigny, jusqu'alors général de cette flotte, était du nombre des mécontents. Du moins le roi, informé des oppositions faites à M. d'Ailleboust, nomma celui-ci général de la flotte, pour ce voyage seulement, sans que sa nomination dut tirer à conséquence pour l'avenir; en même temps, il lui donna le pouvoir de nommer les commandants de vaisseaux qu'il aurait pour agréables; et quant à M. de Repentigny, il (le roi) déclara qu'il ne serait général de la flotte qu'au prochain retour en France des mêmes vaisseaux. Cette mesure sévère, qui réduisait M. de Repentigny à faire la traversée, cette fois, comme simple particulier, était de nature à l'affecter beaucoup.[69] Il tomba malade dans la traversée et mourut avant même que la flotte fût arrivée à Québec.»[70] Le 23 septembre, lorsque les navires retournèrent en France, M. de Montmagny eut le commandement; M. Jean-Paul Godefroy, contrôleur général, qui était du voyage, devait commander au retour, l'année suivante.[71] Le 6 août partirent de Trois-Rivières soixante canots hurons, accompagnés de huit soldats qui devaient s'en adjoindre quatre autres en passant à Montréal.[72] Ils emportaient une petite pièce de canon. En tout, la flottille comprenait vingt-six Français. Le voyage fut heureux et se termina au commencement de septembre. La plupart de ces hommes périrent, sans doute, lors des massacres définitifs qui eurent lieu, quelques mois après, dans la région des grands lacs. En tous cas, ce convoi devait être le dernier, pendant nombre d'années, qui se rendrait aux missions huronnes, il en partit un ou deux en 1649, qui durent rebrousser chemin. Dans la nuit du 13 au 14 août 1648, le père de Quen arriva de Québec «avec un chirurgien nommé Bélanger qui portait les lettres du roi pour le changement de gouverneur et tout ensemble les lettres apportées par l'amiral arrivé il Tadoussac, le 8..... Le 15, le père de Quen repartit pour Tadoussac et on envoya un canot à M. d'Ailleboust.... Le 20, jour de Saint-Bernard, M. d'Ailleboust mouilla devant Québec et fut reçu gouverneur.»[73] [Note 69: Sa femme, qui était alors en France, lui écrivit, le 31 juillet 1648, que Noël Juchereau des Chastelets, resté comme elle en France, venait de mourir. Par la suite, elle apprit qu'elle était veuve depuis à peu près la date du décès du sieur des Chastelets. Sa lettre ne parvint à Québec que le 10 juillet 1649, par l'entremise des Abénakis. (_Journal_ des jésuites, p. 128.)] [Note 70: Faillon, _Histoire de la Colonie_, II, 94.] [Note 71: _Journal_ des jésuites, p. 117.] [Note 72: _Ibid._, 113-4.] [Note 73: _Journal_ des jésuites, p. 114-15.] Le Dictionnaire généalogique dit que M. d'Ailleboust «arriva à Québec le 20 août 1648». donnant par là à entendre que c'était sa première entrée dans le pays, mais nous savons que depuis 1643 il demeurait à Montréal. Le 13 septembre, Charles le Gardeur de Tilly, revenant de France, débarqua à Québec. Le 1er octobre, il épousa Geneviève Juchereau et remplaça, vers le même temps, son beau-frère. Jacques Leneuf de la Poterie comme gouverneur de Trois-Rivières, position désormais indépendante du gouverneur général. Charles le Gardeur devenait chef de sa famille par le décès de Pierre de Repentigny, son frère aîné, survenu entre les Açores et le cap Breton, dans la traversée du mois d'août de cette année. Le 2 septembre, M. de la Poterie présida l'élection, qui se fit au scrutin, pour nommer un syndic à Trois-Rivières, en remplacement de Jacques Hertel sieur de la Frenière, élu à cette charge en 1645. La ville et le cap de la Madeleine compris, il y avait de vingt-trois à vingt-cinq électeurs, dont quelques-uns étaient absents; quatorze donnèrent leur appui à Michel Leneuf du Hérisson. Quelques jours plus tard, ce dernier, partant pour la France, fut remplacé par Jean Godefroy sieur de Lintot, son beau-frère, et, le 9 septembre 1649, du Hérisson est de nouveau appelé au même poste, qu'il garda jusqu'en 1651, où Guillaume Pépin lui succéda et conserva la charge jusqu'à 1655.[74] Les syndics représentaient officiellement leurs mandataires auprès du gouverneur général et devant le Conseil de la colonie, comme il a été expliqué (1645) dans le présent travail. Les syndics de Québec étaient François de Chavigny, Robert Giffard et Jean-Paul Godefroy. L'élément montréalais ne figure pas. La crise avait duré quatre ans; le résultat en fut une modification de bien des choses par tout le pays. Voyons de quelle manière on l'a appréciée: La _Relation_ des jésuites de 1648 dit que M. de Montmagny «fit paraître une généreuse magnanimité»; il ne se retirait donc pas sans répugnance. Le sieur de la Chênaye affirme que «les plaintes que formèrent les principaux Français de la colonie contre M. de Montmagny fut la cause de son chagrin et il abdiqua volontairement». M. Faillon prend la Chênaye à partie sur ce point; il qualifie son mémoire de document «assez inexact», disant de plus, pour en amoindrir l'importance, qu'il a été écrit «en 1696, cinquante ans après 1648»,[75] ce qui est «assez inexact», comme on va le voir, Charles Aubert sieur de la Chênaye, d'Amiens, en Picardie, né vers 1630, paraît. être venu au Canada en 1655, puisque, dans le mémoire en question, il observe qu'il n'a pas connu M. de Lauzon durant les cinq années de son gouvernement mais seulement deux années, par conséquent 1655-1656; il se maria, à Québec, en 1604, fut commis-général de la compagnie des Indes dès 1665, je crois, mais au moins à partir de 1667, et son mémoire, qui explique les origines du Canada, s'arrête à 1675, au moment où la compagnie des Indes cesse d'exister. Voilà, certes! un homme qui savait de quoi il parlait. J'ajoute qu'il est d'accord avec les renseignements qui nous sont parvenus et qui datent de l'époque dont il s'agit. M. Faillon n'aime pas certaines vérités, c'est pourquoi il les aborde avec un petit air de mépris. [Note 74: Voir mon _Histoire des Trois-Rivières_, 1870, pp. 99, 106; l'_Album de l'Histoire des Trois-Rivières_, 1881.] [Note 75: _Relation_, 1648, p. 2.--_Documents sur la Nouvelle-France_, Québec, 1883, I, 249--Faillon, _Histoire de la Colonie_, II, 91-95.] M. de la Chênaye continue: «Ils cabalèrent contre lui (Montmagny) cinq ou six familles, sans la participation des autres,[76] prirent ses pouvoirs pour aller solliciter quelques grâces[77] et, arrivés (en France), ils firent nommer un d'entre eux[78] pour gouverneur; traitèrent que le commerce des castors qui avait été jusque-là défendu très sévèrement aux habitants, à la réserve des fruits du pays, pour avancer la culture des terres, comme pois, blé d'Inde et pain de froment,[79] serait libre. Voilà le premier titre des habitants[80] pour traiter avec les Sauvages. Pour parvenir à ces fins, ils s'engagèrent annuellement à donner un millier de castors au bureau de Paris[81] pour droit de seigneurie,[82] ce qu'il ne retirait pas pour les soins et le ménagement de ses affaires.[83] Ils eurent permission de former un conseil pris des principaux d'entre eux, pour résoudre toutes les affaires du pays, pour la paix, pour la guerre, le règlement des comptes de la communauté et encore le jugement des causes sur les intérêts des particuliers.[84] Ce fut alors que, pour soutenir cette prétendue république, le droit du quart sur la sortie des castors fut imposé.[85] Par ce moyen, l'autorité de la Compagnie[86] et son magasin furent ruinés et le tout tournant presque à l'avantage de ces six familles; les autres restaient ou pauvres ou méprisés par M. d'Ailleboust, leur gouverneur. Sur ce pied, il ne leur fut pas difficile de trouver de gros crédits à la Rochelle, parce que l'on empruntait au nom de la communauté[87] quoiqu'elle ne consistât qu'en six familles.» [Note 76: Les autres, les vrais habitants.] [Note 77: Munis de la permission de M. de Montmagny pour aller en France surveiller de prétendues affaires personnelles. C'était l'automne de 1647.] [Note 78: M. d'Ailleboust.] [Note 79: J'entendrais par ces paroles que l'on avait tenu à développer la production du pays.] [Note 80: Lisons gentilshommes.] [Note 81: Les Cent-Associés, dont le siège était à Paris.] [Note 82: Par leur charte de 1627, les Cent-Associés se trouvaient seigneurs de toute la Nouvelle-France et maîtres du commerce de cette colonie.] [Note 83: C'est-à-dire que le bureau des Cent-Associés retirait moins de mille castors par année de sa gestion dans le Canada.] [Note 84: Ce _Conseil de la colonie_ n'était que le Conseil des gentilshommes, après tout, qui avait en main les matières administratives: milice, finances, commerce, tribunanx, police.] [Note 85: L'habitant fixé sur sa terre, ne pouvait vendre des peaux de castor qu'en en livrant le quart à ce gouvernement de la colonie.] [Note 86: Les Cent-Associés, qui n'avaient renoncé ni à leurs titres seigneuriaux ni à leurs droits de commerce.] [Note 87: La communauté a ici le sens de tous les habitants du pays, comme en anglais, le mot _commonwealth_.] Nous verrons, dans une étude subséquente, ce qu'il advint de cet arrangement, ou plutôt de ce monopole à peine déguisé. Ce jour nouveau jeté sur la compagnie des Habitants, nous éclaire quant à la manière dont le pays lut gouverné de 1636 à 1648, par deux influences principales: 1º les Cent-Associés, qui possédaient des pouvoirs sans faire oeuvre profitable; 2° les gentilshommes, exploiteurs d'une situation désespérée. Bien ne se faisait pour protéger la colonie contre les Iroquois; les émigrants n'y venaient plus; le marasme s'était répandu partout. La question militaire existait à la base de toutes les choses, personne autre que M. de Montmagny ne le comprenait; en tous cas, il fut le premier à y voir clair, et ce sont ses propres plans que son successeur adopta. Il ne fut pas possible à M. de Montmagny de contenir les ambitions des gentilshommes, si âpres à se faire concéder le commerce et à remplir des places officielles. Plût à Dieu que, ces douze années de sacrifices une fois finies, nous eussions eu la paix qui eût amené le développement du pays. Mais non, ce, fut, de plus en plus, lu même lamentable situation jusqu'à. 1665. Dans les derniers jours du mois d'août 1648, la ville de Paris se mettait en révolution par la fameuse _Journée des Barricades_, qui commença la guerre civile de la _vieille_ Fronde, autrement dit la Fronde _parlementaire_. Cette année le prince de Condé gagna la bataille de Lens sur les Espagnols, ce qui permit à Mazarin d'imposer le traité de Westphalie et de terminer la guerre de trente ans. La Fronde allait durer cinq ans encore et devait être suivie de nouvelles guerres jusqu'à 1658. Louis XIII, Richelieu, Anne d'Autriche, Mazarin furent les contemporains et les maîtres de nos destinées de 1636 à 1648. Les «temps héroïques» du Canada qui vont de 1636 à 1664, rappellent les souffrances des Canadiens par suite du manque d'organisation militaire. On peut se demander à qui la faute? Le premier besoin du pays était la colonisation; mais la guerre la rendait impossible. Ensuite venaient le commerce avec la France, le trafic avec les Sauvages, tant pour le bénéfice des colons que pour l'avantage de la mère-patrie. Il semble que ces choses eussent dû marcher d'ensemble et facilement, mais elles furent paralysées par le défaut de troupes, et la colonie fut presque sans éléments colonisateurs proprement dits jusqu'en 1665. [Fin de _L'Organisation militaire du Canada 1636-1648_ par Benjamin Sulte]